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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ZARMAKOUPIS ET SAKELLAROPOULOS c. GRÈCE
(Requête n° 44741/98)
ARRÊT
STRASBOURG
19 octobre 2000
DÉFINITIF
04/04/2001
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.
En l’affaire Zarmakoupis et Sakellaropoulos c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
M. A.B. Baka, président,
M C.L. Rozakis,
M. B. Conforti,
M. G. Bonello,
M. P. Lorenzen,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. E. Levits, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 10 février et 28 septembre 2000,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 44741/98) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Anastassios Zarmakoupis et Georgios Sakellaropoulos (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 11 septembre 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement hellénique (« le Gouvernement ») était représenté par les délégués de son agent, MM. Georgios Kanellopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’État et Konstantinos Georgiadis, auditeur auprès du Conseil juridique de l’État.
3. Les requérants alléguaient en particulier que la procédure pénale dont ils ont fait l’objet connut une durée excessive, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).
5. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6. Par une décision du 10 février 2000, la chambre a déclaré recevable le grief tiré de la durée de la procédure.
EN FAIT
7. Les requérants et sept autres personnes ont fait l’objet d’une procédure pénale pour fraude et faux en écritures privées. En particulier, il leur fut reproché d’avoir mis en circulation un grand nombre de fausses actions. Le 1er juin 1991, les requérants furent placés en détention provisoire, au cours de laquelle ils déposèrent deux demandes de mise en liberté. Le 5 septembre 1991, ils furent libérés conditionnellement.
8. Le 23 novembre 1992, les requérants furent renvoyés devant la cour d’assises d’Athènes. A deux reprises, le second requérant demanda l’ajournement de l’affaire, son avocat devant participer à un autre procès. Au total, l’affaire fut ajournée huit fois à la demande des accusés.
9. Le 22 février 1996, la cour d’assises condamna les requérants à une peine d’emprisonnement de trois ans avec sursis. Le même jour, ils interjetèrent appel de ce jugement.
10. Le 1er avril 1998, la cour d’appel d’Athènes prononça l’acquittement des requérants. Cet arrêt est devenu définitif.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
11. Les requérants dénoncent la durée de la procédure pénale dirigée contre eux. Ils allèguent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) »
A. Période à prendre en considération
12. La période à considérer a débuté le 1er juin 1991, date de l’inculpation des requérants, et s’est terminée le 1er avril 1998 avec l’arrêt de la cour d’appel. Elle couvre donc une durée de six ans et dix mois pour deux degrés de juridiction.
B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
13. Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999, [GC], no. 25444/94, CEDH 1999‑II, et Philis c. Grèce (n° 2) du 27 juin 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑IV, p. 1083, § 35).
14. Le Gouvernement affirme que la durée de la procédure s’explique par la complexité particulière de l’affaire. Il souligne que l’information judiciaire portait sur une affaire de circulation d’un grand nombre de fausses actions, impliquant plusieurs personnes.
Le Gouvernement soutient par ailleurs que le comportement des parties a incontestablement contribué à allonger la durée de la procédure. A cet égard, il note que l’affaire a été ajournée à huit reprises à l’initiative des accusés, dont deux fois à la demande du second requérant. Le Gouvernement considère enfin que les autorités compétentes ont fait preuve d’une particulière diligence dans le déroulement de la procédure.
15. Les requérants estiment que leur affaire connut une durée excessive, pour laquelle ils n’ont aucune responsabilité.
16. La Cour relève qu’une période de trois ans et trois mois s’est écoulée entre le renvoi des requérants en jugement et l’arrêt rendu par la cour d’assises. Elle considère que la complexité de l’affaire et le comportement des requérants ne suffisent pas en soi à justifier un tel délai. Certes, le second requérant est peut-être responsable en partie de certains retards à cause de ses deux demandes de reports, mais le retard global est dû pour l’essentiel à la manière dont les autorités ont traité l’affaire (voir, mutatis mutandis, les arrêts Portington c. Grèce du 23 septembre 1998, Recueil 1998‑VI, p. 2632, § 29, et Zana c. Turquie du 25 novembre 1997, Recueil 1997‑VII, p. 2552, § 79).
17. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 oblige les États contractants à organiser leur système judiciaire de sorte que les tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences, notamment celle du délai raisonnable (voir l’arrêt Portington précité, p. 2633, § 33).
18. Compte tenu de l’enjeu pour les requérants, au demeurant acquittés en appel, la Cour estime qu’une durée globale de six ans et dix mois pour deux degrés de juridiction ne saurait passer pour « raisonnable ». Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
19. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
20. Les requérants soulignent que la procédure pénale, qui était pendante à leur encontre pendant presque sept ans, leur a fait subir un très grand préjudice matériel et moral. Ils évaluent le manque à gagner et la privation de perspectives professionnelles pendant ce délai excessif à 16 200 000 GRD pour le premier requérant et à 18 000 000 GRD pour le second requérant. Les requérants estiment à 10 000 000 GRD le préjudice moral souffert par chacun d’eux.
21. Le Gouvernement ne se prononce pas.
22. La Cour n’estime pas déraisonnable de penser que le temps consacré par les requérants à gérer une procédure pénale anormalement longue fut au détriment de leur activité professionnelle (voir mutatis mutandis l’arrêt Pélissier et Sassi précité, § 80). A quoi s’ajoute un préjudice moral auquel le constat de violation de la Convention figurant dans le présent arrêt ne suffit pas à remédier. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle leur alloue à chacun 5 000 000 GRD.
B. Frais et dépens
23. Les requérants ne sollicitent pas le remboursement de frais et dépens ; d’après la jurisprudence constante de la Cour, pareille question n’appelle pas un examen d’office (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Scuderi c. Italie du 24 août 1993, série A n° 265‑A, p. 8, § 20).
C. Intérêts moratoires
24. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Grèce à la date d’adoption du présent arrêt était de 6 % l’an.
par ces motifs, la cour, À l’unanimitÉ,
1. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention 5 000 000 (cinq millions) drachmes pour dommages matériel et moral plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;
b) que ce montant sera à majorer d’un intérêt simple de 6 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;
3. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 octobre 2000 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Erik Fribergh Andras B. Baka
Greffier Président