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Rozhodnutí
TROISIÈME SECTION
DÉCISION FINALE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 37565/97
présentée par Société d'aménagement de Port-Léman (SAPL)
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le
12 septembre 2000 en une chambre composée de
M. W. Fuhrmann, président,
M. J.-P. Costa,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Sir Nicolas Bratza,
M. K. Traja, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 18 juillet 1997 et enregistrée le 1er septembre 1997,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, la Société d’aménagement de Port-Léman (ci-après la SAPL), est une société à responsabilité limitée de droit français, dont le siège social est établi à Chens‑sur‑Léman (Haute-Savoie). Elle est représentée devant la Cour par Me Christian Bremond, avocat au barreau de Paris.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
La commune de Chens-sur-Léman décida, par une délibération en date du 27 janvier 1986, d’organiser une concertation publique autour de la réalisation de deux zones d’aménagement concerté (« ZAC »), au lieu-dit de Tougues, comprenant un port de plaisance, un ensemble résidentiel avec équipements hôteliers, des installations techniques, de commerce et d’animations ainsi que divers équipements sportifs, dont un golf et une plage.
Le 17 février 1988, la commission départementale des Sites de Haute-Savoie émit un avis favorable au projet présenté par la Société d’aménagement touristique et sportif de Tougues (« SATST »). Le préfet de Haute-Savoie donna son accord au projet par décision du 25 mars 1988.
Le 29 juin 1989, la SAPL acquit de la SATST des terrains situés au lieu-dit de Tougues, afin de réaliser le projet d’aménagement. Elle conclut le 9 janvier 1991 avec la commune de Chens-sur-Léman une convention d’aménagement de la ZAC n° 1, ainsi qu’une convention d’objectifs.
Les conventions d’aménagement et d’objectifs, modifiées à la demande du préfet de Haute-Savoie en date du 11 avril 1991, furent approuvées par une délibération du conseil municipal en date du 13 janvier 1992. Par une deuxième délibération du même jour, le conseil municipal décida également la création de la ZAC n° 2 de Port-Léman, dont l’aménagement et l’équipement furent également confiés à la SAPL.
Toutefois, le 30 mars 1992, le préfet de Haute-Savoie informa le maire de la commune de Chens-sur-Léman qu’il entendait saisir le tribunal administratif de Grenoble d’un recours en annulation des délibérations de la commune autorisant le projet d’aménagement de Port-Léman.
Le 1er juin 1992, le tribunal administratif ordonna qu’il soit sursis à l’exécution des délibérations de la commune du 13 janvier 1992, puis les annula par jugement du 3 juin 1993. La cour administrative d’appel de Lyon confirma cette décision par arrêt du 31 décembre 1996. Par arrêt du 26 mars 1999, le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi formé par la SAPL et confirma l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon déclarant illégaux les actes administratifs approuvant le projet d’aménagement du Port Léman.
Considérant que le sursis à l’exécution des délibérations de la commune (et à plus forte raison leur éventuelle annulation) suspendait la mise en œuvre du projet d’aménagement de Port-Léman, la SAPL formula auprès du préfet de Haute‑Savoie, par un courrier en date du 24 juillet 1992, une demande préalable d’indemnisation du préjudice né de l’abandon du projet. Le préfet rejeta cette demande le 18 novembre 1992.
La SAPL déposa donc, le 18 janvier 1993, une requête devant le tribunal administratif de Grenoble, tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser, en réparation du préjudice né de la non-réalisation des différentes ZAC de Chens-sur-Léman, la somme de 309.879.964 francs.
Le préfet de Haute-Savoie déposa un mémoire en réplique au nom de l’Etat le 22 novembre 1993.
Le 23 mars 1995, la SAPL déposa un mémoire complémentaire portant sa demande initiale à 391.071.199 F. et demandant la condamnation de la commune de Chens-sur-Léman in solidum avec l’Etat.
Par lettre du 20 avril 1995, la SAPL adressa au maire de Chens-sur-Léman une demande tendant à l’indemnisation du préjudice subi. La commune n’ayant pas répondu à ce courrier après quatre mois, la SAPL déposa le 11 novembre 1995 au greffe du tribunal administratif de Grenoble une requête dirigée contre la décision implicite de rejet de la commune de Chens-sur-Léman, et tendant à ce que la commune lui verse la somme de 391.071.199 francs.
Le 4 avril 1996, une ordonnance de clôture de l’instruction fut rendue. Le 25 avril 1996, l’instruction fut rouverte pour permettre à la commune de présenter ses observations en défense.
Le 30 avril 1996, la SAPL présenta un mémoire complémentaire au tribunal administratif, dans lequel elle portait à 411.615.831 francs le préjudice dont elle demandait réparation.
La commune de Chens-sur-Léman présenta son mémoire en défense le 2 juillet 1996.
Le 3 juillet 1996, le préfet déposa un mémoire complémentaire au mémoire de la SAPL du 23 mars 1995.
Par ordonnance du 17 septembre 1996, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif fixa la date de clôture de l’instruction au 21 octobre 1996.
Le 27 septembre 1996, le préfet de Haute-Savoie déposa un mémoire en réplique au mémoire de la commune du 2 juillet 1996.
Le 4 octobre 1996, la SAPL déposa un mémoire complémentaire en réplique à celui de la commune du 2 juillet 1996.
Le 18 octobre 1996, la commune déposa un mémoire en réplique.
La SAPL répliqua au mémoire de la commune de Chens-sur-Léman par un dernier mémoire du 7 novembre 1996, dans lequel elle maintenait ses conclusions, en demandant à bénéficier de la capitalisation des intérêts.
Le 21 mai 1997, l’avocat de la SAPL demanda l’inscription de l’affaire au rôle.
Le 24 septembre 1997, cette demande fut reprise par un député.
L’instruction de l’affaire fut rouverte par décision du 13 novembre 1997 et sa date de clôture fut fixée au 15 décembre 1997.
Par lettre du 3 décembre 1997, le garde des Sceaux répondit à la lettre du député qu’il pouvait être désormais statué sur le recours en indemnisation car il existait un jugement exécutoire statuant sur la légalité du projet d’aménagement.
Le 12 décembre 1997, la commune déposa un mémoire complémentaire.
Le 24 décembre 1997, le préfet déposa un mémoire complémentaire. Les 26 et 31 décembre 1997, la SAPL déposa des mémoires complémentaires en réponse. Ces trois derniers mémoires, produits après la clôture de l’instruction, ne furent ni examinés ni communiqués aux parties par le tribunal, conformément aux règles de la procédure applicable.
Le 7 janvier 1998, le tribunal administratif de Grenoble tint son audience. Par jugement du 3 février 1998, le tribunal administratif considéra que « les jugements des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel étant exécutoires, la circonstance que le Conseil d’Etat soit saisi d’un recours en cassation contre l’arrêt d’illégalité des délibérations du 13 janvier 1992 (…) ne [faisait] pas obstacle à ce que le présent tribunal statue sur le recours en indemnisation formé par la SAPL (…) ».
Le tribunal ne conclut toutefois pas à la responsabilité de l’Etat dans l’abandon du projet de Port-Léman au motif que « la responsabilité de la création des ZAC » incombait à la commune de Chens-sur-Léman et que « la participation des services de l’Etat à la définition du projet d’aménagement du site de Port-Léman (…) ne saurait être regardée comme un engagement pris à l’égard de l’aménageur de mener à terme le projet ».
Le tribunal releva par ailleurs que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon avait établi l’illégalité des délibérations de la commune de Chens-sur-Léman décidant la création de la ZAC de Port-Léman, que « ces illégalités [constituaient] des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune », que « seul le préjudice lié directement et certainement à l’illégalité des décisions relatives aux ZAC et supporté personnellement par l’aménageur » était indemnisable, mais que le préjudice financier subi par la société requérante « ne [présentait] pas un caractère direct, et, de ce fait, ne [pouvait] être indemnisé. »
Par requête du 3 avril 1998, la SAPL porta l’affaire devant la cour administrative d’appel de Lyon, devant laquelle l’affaire est toujours pendante.
Le 28 avril 1998, l’affaire fut attribuée à une chambre de la cour et, le 15 juillet 1998, un rapporteur fut nommé.
Le 19 mars 1999, le ministre déposa un mémoire en défense et, le 28 avril 1999, la SAPL déposa un mémoire complémentaire.
Le 22 juillet 1999, la SAPL déposa un mémoire récapitulatif et en réplique.
EN DROIT
Le premier grief de la requérante porte sur la durée de la procédure qui a débuté le
18 janvier 1993 par le recours formé devant le tribunal administratif de Grenoble contre la décision du préfet de Haute-Savoie rejetant la demande préalable d’indemnisation formulée par la requérante. Elle est actuellement pendante devant la cour administrative de Lyon, à la suite de l’appel interjeté par la requérante contre le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 3 février 1998. Elle a donc déjà duré environ 7 ans et 8 mois.
Selon la requérante, la durée de la procédure ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
Le deuxième grief critique cette durée excessive qui, selon la requérante, a porté gravement atteinte à son droit au respect de ses biens, protégé par l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention.
La Cour estime qu’à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention notamment en matière de « délai raisonnable » (complexité de l’affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, ces griefs doivent faire l’objet d’un examen au fond.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.
S. Dollé W. Fuhrmann
Greffière Président