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Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 27937/95
présentée par Murat BAYRAK
contre l'Allemagne
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 6 juillet 2000 en une chambre composée de
M. A. Pastor Ridruejo, président,
M. G. Ress,
M. L. Caflisch,
M. J. Makarczyk,
M. V. Butkevych,
M. J. Hedigan,
Mme S. Botoucharova, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 17 juillet 1995 et enregistrée le 21 juillet 1995,
Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, de nationalités turque et allemande (depuis 1995), né en 1918, est domicilié à Bonn. En 1982, les autorités allemandes lui accordèrent le statut de réfugié politique.
Le requérant est représenté par Maître André Schreckenberg et associés, avocats inscrits au barreau de Strasbourg.
Les faits de la cause, tel qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit:
Le 24 avril 1980, la société turque SCS, fondée par le requérant, passa un contrat de vente de 3 000 tonnes de concentré de tomates au prix de $ 800 (dollars américains) la tonne avec l'entreprise étatique irakienne SEC. Le même jour, la SEC ouvrit en faveur de la SCS un crédit documentaire irrévocable d'un montant de $ 2 400 000 auprès de la banque irakienne R. La banque turque C, sise à Istanbul, fut chargée d'effectuer les paiements à la SCS. Lors de la première livraison de concentré de tomates, la banque irakienne ne paya que 95% de la valeur de la marchandise. Une deuxième livraison (valeur: $ 112 000), ne fit l'objet d'aucun règlement. La SCS arrêta alors ses livraisons.
Par la suite, la SCS céda au requérant ses droits découlant du contrat conclu avec la SEC.
En février 1987, le requérant assigna la banque irakienne devant le tribunal régional (Landgericht) de Düsseldorf. Il réclama le remboursement partiel du préjudice que lui avait causé l'inexécution du crédit documentaire.
Par un jugement rendu par défaut le 2 février 1988, le tribunal régional condamna la banque irakienne à payer au requérant des dommages et intérêts d'un montant de $ 200 000, de 30 000 000 lires turques et de 40 000 DEM avec intérêts. Pour affirmer sa compétence, le tribunal régional observa que la défenderesse était titulaire d'un compte auprès d'une banque sise à Düsseldorf. Quant au fond, le tribunal régional appliqua le droit turc, considérant qu'une banque sise à Istanbul avait assumé l'obligation d'effectuer les paiements.
Sur l'opposition (Einspruch) de la banque, le tribunal régional, par un jugement du 20 décembre 1988, annula le jugement rendu le 2 février 1988 et déclara l'action en dommages et intérêts présentée par le requérant irrecevable. Le tribunal se déclarait incompétent pour connaître du litige au motif que le requérant n'avait pas apporté la preuve de l'existence en Allemagne de biens appartenant à la banque irakienne.
Le requérant interjeta appel de ce jugement, en augmentant le montant des dommages et intérêts demandés.
Par un arrêt du 5 octobre 1989, la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Düsseldorf cassa le jugement du tribunal régional du 20 décembre 1988 et renvoya la cause à ce dernier. Elle estimait que le litige relevait de la compétence des juridictions allemandes. Le fait que la défenderesse possédait des créances sur la filiale d'une banque allemande sise à Düsseldorf suffisait comme lien de rattachement de l'instance au territoire allemand, à l'exclusion de toute autre exigence de lien de rattachement.
Un pourvoi en cassation (Revision) formé par la banque irakienne contre cet arrêt fut révoqué ultérieurement par celle-ci.
Le tribunal régional de Düsseldorf ordonna des mesures d'instruction. Par une décision du 27 mars 1990, il ordonna un complément d'instruction. Le tribunal régional entendit sept témoins venus de Turquie et examina plusieurs expertises, le droit applicable étant le droit turc.
Par un jugement du 22 juillet 1993, le tribunal régional fit partiellement droit à la demande du requérant. Il confirma le jugement rendu par défaut et condamna la défenderesse en outre au paiement d'une somme de $ 655 641,18 et d'une somme de 37 709 971 lires turques ainsi qu'au paiement des intérêts correspondant à ces montants. Le tribunal régional estimait devoir appliquer les principes établis dans l'arrêt rendu par la cour d'appel de Düsseldorf le 5 octobre 1989 pour affirmer sa compétence internationale, en dépit d'un récent revirement de la jurisprudence de la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof) en la matière.
La banque irakienne interjeta appel contre ce jugement en contestant notamment la compétence internationale des juridictions allemandes.
Par un arrêt du 11 août 1994, la cour d'appel de Düsseldorf modifia le jugement rendu le 22 juillet 1993 par le tribunal régional, en annulant le jugement rendu le 2 février 1988 par défaut et en rejetant la demande de dommages et intérêts présentée par le requérant dans son ensemble. La cour d'appel, tenant compte de la jurisprudence modifiée de la Cour fédérale de justice en la matière, considérait que les juridictions allemandes n'avaient pas de compétence internationale pour connaître du litige.
Selon la cour d'appel, en l'espèce, la compétence avait été obtenue par des moyens frauduleux. Le requérant n'était pas impliqué dans les relations contractuelles entre la SAC et la SEC et il n'avait pas démontré la base légale sur laquelle se fondait la cession des droits découlant du contrat. Cette manière de procéder laissait supposer que la cession tendait uniquement à faire relever le litige de la compétence des tribunaux allemands.
Elle estimait, en outre, qu'à titre exceptionnel, elle n'était pas liée par son arrêt du 5 octobre 1989 au motif que la jurisprudence de la Cour fédérale de justice relative à la question de la compétence internationale des tribunaux allemands avait été modifiée par un arrêt du 2 juillet 1991 de celle-ci.
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. La Cour fédérale de justice débouta le requérant par un arrêt du 17 janvier 1995, au motif que l'affaire ne soulevait aucune question d'intérêt général. Elle confirmait que la cour d'appel n'était pas liée par son arrêt précédent. En outre, la cour d'appel avait estimé, sans erreur de droit, que le requérant avait obtenu la compétence des tribunaux allemands par des moyens frauduleux.
Le 20 mars 1995, la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht), statuant en comité de trois juges, décida de ne pas retenir le recours constitutionnel (Verfassungsbeschwerde) du requérant.
EN DROIT
1. Le premier grief du requérant porte sur la durée de la procédure qui a débuté le 4 février 1987 et s’est terminée le 20 mars 1995 par une décision de la Cour constitutionnelle fédérale. Elle a donc duré 8 ans et un mois.
Le Gouvernement observe que la procédure, pendante à deux reprises en première et deuxième instance avant d'être définitivement jugée en troisième instance, revêtait une complexité extraordinaire due au lien de rattachement à l'étranger, le droit régissant le litige n'étant pas le droit allemand mais le droit turc.
Selon le requérant, la durée de la procédure, qui est de plus de huit ans, ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » prévue à l’article 6 § 1 de la Convention, la procédure ayant été, par surcroît, d'une complexité ordinaire.
La Cour estime qu’à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » (complexité de l’affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, ce grief doit faire l’objet d’un examen au fond.
2. Le requérant se plaint également de ne pas avoir bénéficié du droit d'accès à un tribunal lorsque les juridictions allemandes se sont finalement déclarées incompétentes pour connaître de l'affaire du requérant. En outre, il invoque les articles 5, 6 § 1 (procès équitable), et 13 de la Convention et l'article 1 du Protocole n°1.
Pour ce qui est de la violation alléguée du droit d'accès au tribunal, la Cour rappelle que s'il est vrai que l'article 6 § 1 garantit à chacun le droit à ce qu'un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil, ce droit n'est cependant pas absolu (voir l'arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A n° 18, §§ 36-38). La Cour note que ce droit n'implique pas un droit illimité de choisir le tribunal compétent. Les règles du droit international privé limitant le libre jeu de l'autonomie de la volonté ne sont pas incompatibles avec l'article 6 § 1 de la Convention (voir n° 6200/73, décision du 13 mai 1976). En l'espèce, les tribunaux allemands ont conclu, après un examen approfondi, à l’absence de leur compétence. Ils ont amplement motivé leurs décisions. Les motifs fournis dans les décisions judiciaires critiquées par le requérant permettent d'exclure que les juges aient tiré des conclusions de caractère arbitraire de nature à porter atteinte à l'équité de la procédure.
Concernant les autres griefs, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Elle rappelle, en particulier, qu'il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. La question de l'admissibilité des preuves et leurs force probante relève essentiellement du droit interne (voir l'arrêt van de Hurk v. Pays-Bas du 12 avril 1994, série A n° 288, § 59).
En ce qui concerne ces griefs, la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée en application de l'article 35 § 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
DÉCLARE LA REQUÊTE RECEVABLE, quant au grief tiré par le requérant de la durée excessive de la procédure engagée le 4 février 1987 devant le tribunal régional de Düsseldorf, tous moyens de fond réservés ;
DECLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE, pour le surplus.
Vincent Berger Antonio Pastor Ridruejo
Greffier Président