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Rozhodnutí

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 51344/99
présentée par Francisco BALCELLS MAYOL

contre l’Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 30 mai 2000 en une chambre composée de

M. G. Ress, président,
M. A. Pastor Ridruejo,
M. L. Caflisch,
M. J. Makarczyk,
M. I. Cabral Barreto,
Mme N. Vajić,
M. M. Pellonpää, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 21 septembre 1999 et enregistrée le 28 septembre 1999,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

Le requérant est un ressortissant espagnol, né en 1941 et résidant à Valence. Il est représenté devant la Cour par Me Javier Bruna Reverter, avocat au barreau de Valence.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le 30 juin 1997, le requérant déposa plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de la société Repsol Butano S.A. ; il se plaignait du grave danger que lui avait causé une fuite de gaz propane provoquée par l’installation défectueuse dans sa maison par ladite société. Conformément au code de procédure pénale, il se réserva expressément le droit d’exercer les actions civiles au moment opportun de la procédure pénale.

Dans le cadre de l’instruction de la plainte, le requérant apporta comme élément de preuve une expertise dans laquelle il était fait état du réel risque d’incendie et d’explosion du gaz échappé. En outre, il pria le juge d’instruction de demander à la société Repsol la remise de la pièce supposée défectueuse à l’origine de la fuite de gaz. Par une ordonnance du 19 septembre 1997, le juge d’instruction fit droit à la demande du requérant.

Le 13 octobre 1997, l’expert commis par le juge d’instruction remit son rapport. Celui-ci conclut que la fuite de gaz n’avait pas mis en danger les personnes. Par une ordonnance du 17 octobre 1997, le juge d’instruction n° 3 de Llíria rendit un non-lieu en estimant que les faits dénoncés n’étaient pas constitutifs d’une infraction pénale. Le rapport d’expertise commis par le juge d’instruction fut transmis au requérant en même temps que l’ordonnance de non-lieu. Contre cette décision, le requérant présenta un recours en reforma auprès du juge d’instruction, en se plaignant notamment de ce que le juge avait omis d’administrer des éléments de preuve qu’il avait lui même admis, de sorte qu’il y avait eu atteinte aux droits de la défense.

Par une décision du 19 novembre 1997, le juge d’instruction n° 3 de Llíria rejeta le recours en précisant que, dans son rapport, l’expert commis par le tribunal avait écarté l’hypothèse selon laquelle la pièce en question avait occasionné l’accident. Par ailleurs, il estima que dès lors que les faits dénoncés ne constituaient pas une infraction pénale, il était inutile de continuer de prendre d’autres mesures d’instruction, même si elles avaient déjà été admises.

Le requérant interjeta appel devant l’Audiencia provincial de Valence, alléguant la violation de l’article 24 de la Constitution (droit à un procès équitable). Dans son recours, il contestait l’appréciation des éléments de preuve faite par le juge d’instruction, et critiquait les conclusions du rapport d’expertise demandé par le juge d’instruction. En outre, il se plaignait notamment de ce que n’ayant pas eu connaissance dudit rapport d’expertise avant que ne fût rendue le non-lieu, il n’avait pas été en mesure de le contredire. Par ailleurs, il faisait valoir que le juge avait omis de se faire remettre par la société Repsol la pièce défectueuse, alors même que l’examen de cette pièce aurait pu l’éclairer sur la matérialité des faits litigieux.

Par une décision du 17 décembre 1997, l’Audiencia nacional rejeta le recours et confirma les décisions entreprises, notamment aux motifs suivants :

« (...) Même si l’appelant estime la motivation par trop sommaire, la décision de non-lieu est adéquate au cas d’espèce puisqu’il en ressort qu’il ne s’est produit aucune infraction (...) ni au titre du dol, ni même au titre de l’imprudence. Bien que le plaignant ait été traumatisé et ait eu une crise nerveuse, ce n’est pas cela que l’article 348 du code pénal sanctionne, mais une série de conduites concrétisées dans un oubli des normes de sécurité établies pour la manipulation de substances explosives ou inflammables mettant en danger réel la vie, l’intégrité physique ou la santé des personnes. Or ni le premier ni les second de ces éléments constitutifs ne se trouvent réalisés puisqu’il n’y a pas eu infraction aux normes de sécurité, mais uniquement une valve qui lâcha en raison d’un mauvais réglage de la pression nécessaire et put être réparée en la serrant et, qu’à aucun moment, il n’y eut danger concret pour la vie, dans la mesure où le gaz qui s’échappait se dispersait dans l’air, son danger potentiel diminuant (...), de sorte que le non-lieu est correct et doit être confirmé (...). »

Le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel en invoquant l’article 24 de la Constitution. Par une décision du 31 mai 1999, la haute juridiction rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement.

GRIEFS

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d’une atteinte au principe du contradictoire et de l’égalité des armes en ce qu’il n’a pas eu accès au rapport d’expertise commis par le juge d’instruction, alors même que le contenu de ce rapport contredit les conclusions de l’autre expertise apportée par lui. Il allègue également une violation du procès équitable dans la mesure où le juge n’administra pas la preuve consistant dans l’examen de la valve défectueuse à l’origine de l’accident. Il estime enfin que les tribunaux n’ont pas motivé suffisamment le rejet de la plainte pénale déposée.

EN DROIT

Le requérant se plaint que sa cause n’a pas été examinée équitablement par les tribunaux et invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

La Cour estime en premier lieu que le requérant peut se prévaloir, dans la procédure litigieuse, des dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention. En effet, elle constate que le requérant déclencha les poursuites pénales, non seulement afin d’obtenir une déclaration de culpabilité, mais aussi la réparation du préjudice subi du fait de l’accident produit. A cette fin, et conformément au code de procédure pénale, dans sa plainte pénale, le requérant se réserva expressément le droit d’exercer les actions civiles au moment opportun de la procédure pénale (arrêt Acquaviva c. France du 21 novembre 1995, série A n° 333-A, pp. 14-15, § 47).

Sur le fond, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 19 de la Convention, elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. En particulier, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si, et dans la mesure où, elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Par ailleurs, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (voir les arrêts Schenk c. Suisse du 12 juillet 1988, série A n° 140, p. 29, §§ 45-46, et García Ruiz c. Espagne [GC], n° 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). La Cour a néanmoins pour tâche de rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris la manière dont la preuve a été administrée, a revêtu le caractère équitable voulu par l’article 6 § 1 (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Schenk précité § 46, et l’arrêt Mantovanelli c. France du 18 mars 1997, Recueil 1997-II, p. 436, § 33).

S’agissant du grief tiré de l’absence de communication au requérant du rapport d’expertise demandé par le juge d’instruction, la Cour rappelle que l’un des éléments d’une procédure équitable au sens de l’article 6 § 1 est le caractère contradictoire de celle-ci : chaque partie doit en principe avoir la faculté, non seulement de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de ses prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision (voir, mutatis mutandis, les arrêts Lobo Machado c. Portugal et Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, respectivement pp. 206-207, § 31, et p. 234, § 33, ainsi que l’arrêt Nideröst-Huber c. Suisse du 18 février 1997, Recueil 1997-I, p. 108, § 24).

A ce titre, elle précise que le respect du contradictoire, comme celui des autres garanties de procédure consacrées par l’article 6 § 1, vise l’instance devant un « tribunal » ; il ne peut donc être déduit de cette disposition un principe général et abstrait selon lequel, lorsqu’un expert a été désigné par un tribunal, les parties doivent avoir, dans tous les cas, la faculté d’assister aux entretiens conduits par le premier, ou de recevoir communication des pièces qu’il a prises en compte. L’essentiel est que les parties puissent participer de manière adéquate à la procédure devant le « tribunal » (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Kerojärvi c. Finlande du 19 juillet 1995, série A n° 322, p. 16, § 42 in fine).

Par ailleurs, la Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel. La Cour ne saurait donc exclure, par principe et in abstracto, l’admissibilité d’une preuve recueillie sans respecter les prescriptions du droit national. Il revient aux juridictions internes d’apprécier les éléments obtenus par elles et la pertinence de ceux dont une partie souhaite la production.

En l’espèce, la Cour note que le requérant ne reçut pas communication du rapport d’expertise commis par le juge d’instruction avant que ce dernier ne rende sa décision de non-lieu. Or, d’après cette décision, ledit rapport constitua un élément déterminant pour fonder le rejet de la plainte pénale. La Cour observe toutefois que, dans le cadre de la procédure du recours de reforma devant le juge d’instruction puis, en appel devant l’Audiencia provincial de Valence, le requérant, qui, entre-temps, avait reçu l’expertise litigieuse, a eu la possibilité de contester son contenu, ce qu’il a d’ailleurs fait. La Cour concède qu’il aurait été souhaitable que le requérant disposât de la possibilité de contrecarrer ledit rapport avant la prise de décision par le juge d’instruction. Toutefois, eu égard au fait que le requérant a tout de même pu contredire le rapport avant que la décision définitive de rejet ne soit prise par l’Audiencia provincial, la Cour estime que l’absence de communication dudit rapport n’a pas été de nature à entacher d’iniquité la procédure examinée dans son ensemble. Il s’ensuit que, sous ce rapport, la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée en application de l’article 35 § 3 de la Convention.


Pour autant que le requérant se plaint que le juge d’instruction n’administra par une preuve qu’il avait lui-même admis, la Cour note que, dans sa décision du 19 novembre 1997, le juge d’instruction motiva le refus d’examiner la valve défectueuse à l’origine de l’accident, pour la raison qu’il disposait déjà de suffisamment d’éléments pour lui permettre de trancher le litige. La Cour estime que le rejet de la demande du requérant n’apparaît pas comme étant arbitraire ou dénuée de fondement.

Dans la mesure où le requérant se plaint que les tribunaux n’ont pas motivé suffisamment le rejet de la plainte pénale, la Cour considère cependant que les décisions critiquées et, en particulier la décision de l’Audiencia nacional, sont dûment motivées. Le fait que les juridictions saisies n’ont pas répondu en détail à chacun des arguments soulevés par le requérant ne saurait être considéré comme constituant une atteinte au caractère équitable de la procédure au sens de l’article 6 § 1. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

Vincent Berger Georg Ress
Greffier Président