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TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 42499/98
présentée par Jacqueline LE SAIN, Philippe FROMENTIN et la S.A.R.L. ABAN
contre France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 21 mars 2000 en une chambre composée de

Sir Nicolas Bratza, président,
M. J.-P. Costa,
M. L. Loucaides,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
M. K. Jungwiert,
Mme H.S. Greve, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 27 juin 1998 et enregistrée le 30 juillet 1998,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur le 2 août 1999 et celles présentées en réponse par les requérants le 19 octobre 1999,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

La première requérante, ressortissante française, née en 1954, est journaliste et réside à Aubusson (Creuse). Le deuxième requérant, ressortissant français, né en 1955, est le gérant de la troisième requérante et réside à Vincennes (Val-de-Marne). La troisième requérante est une société à responsabilité limitée ayant son siège à Vincennes. Elle est l’éditrice du journal Le Petit Sport.

A. Circonstances particulières de l’affaire

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A la suite de la parution d’un article publié en octobre 1990 dans l’édition n° 20 du journal Le Petit Sport, les requérants se sont vus reprochés par la Fédération Française de Karaté et Arts Martiaux Affinitaires (FFKAMA), J.D., G.S., G.G. et F.D. d’être coupables de diffamation et d’injures. En particulier, il a été reproché au deuxième requérant d’avoir critiqué, dans un article intitulé « la sélection arbitraire », la sélection des membres constituant l’équipe de France et devant participer aux rencontres internationales.

Dans cet article l’on pouvait lire notamment :

« En karaté, il ne suffit pas d’être champion de France pour prétendre à une sélection internationale. D’après les dirigeants de la FFKAMA, seuls les entraîneurs possèdent le pouvoir absolu de désigner, selon leurs propres critères, celui ou celle qui représentera la France dans le monde. Au mépris de notre bonne vieille démocratie et dans l’indifférence des pouvoirs publics. (...)

L’entraîneur procède de deux manières : (...) C’est sur une version officielle toute subjective qu’un combattant sera retenu tandis que l’évincé aura été victime de la couleur de sa peau ou de sa trop grande indépendance. Depuis quelque temps, on voit une volonté très nette de « blanchir » l’équipe de France.

De fait, les pratiquants d’origine maghrébine ou de couleur, sont régulièrement écartés au profit de karatékas blancheur persil (...). »

Par citations directes des 9 et 12 novembre 1990, la première requérante fut citée devant le tribunal de grande instance de Paris comme complice (en sa qualité de responsable de rédaction), le deuxième requérant comme prévenu, et la troisième requérante comme civilement responsable. L’audience eut lieu le 6 mars 1991.

Le 3 avril 1991, le tribunal relaxa les requérants au motif que les qualifications retenues étaient cumulatives. Le 9 avril 1991, les parties civiles interjetèrent appel de ce jugement. Le 19 septembre 1991, l’audience fut reportée au 31 octobre 1991, aucune des parties n’étant présente ni représentée.

Par arrêt rendu le 9 janvier 1992, la cour d’appel de Paris confirma la relaxe prononcée en faveur des requérants, au motif qu’en l’absence d’appel du ministère public, le jugement attaqué était définitif. Le 13 janvier 1992, les parties civiles se pourvurent en cassation. Elles déposèrent leur mémoire ampliatif le 15 septembre 1992. Le conseiller rapporteur déposa son rapport le 13 janvier 1994.

Le 3 mai 1994, la Cour de cassation cassa l’arrêt attaqué en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Versailles. Le 23 septembre 1994, l’audience fut renvoyée à la demande des parties. L’audience eut lieu le 25 novembre 1994.

Le 20 janvier 1995, la cour d’appel de Versailles confirma en ses dispositions civiles le jugement rendu le 3 avril 1991 par le tribunal de grande instance de Paris, en raison de la nullité des citations directes valant constitution de partie civile. Le 24 janvier 1995, les parties civiles se pourvurent en cassation. Elles déposèrent leur mémoire ampliatif le 3 octobre 1995. Le conseiller rapporteur déposa son rapport le 14 novembre 1995.

Le 12 mars 1996, la Cour de cassation cassa l’arrêt attaqué, au motif que la nullité de la citation n’avait pas été soulevée par les défenseurs, et que, dès lors, elle ne pouvait être soulevée d’office par les juges. L’affaire fut renvoyée devant la cour d’appel de Rouen. Le 18 septembre 1996, l’audience fut renvoyée à la demande des parties. Les requérants déposèrent leurs conclusions les 5 et 6 novembre 1996. Ils soutinrent que l’action des parties civiles constituait une procédure abusive et que l’action publique était éteinte L’audience eut lieu le 13 novembre 1996.

Par arrêt rendu le 26 février 1997, la cour d’appel de Rouen, après avoir constaté l’extinction de l’action publique, infirma le jugement déféré en ses dispositions civiles, déclara les deux premiers requérants responsables de diffamation publique, et les condamna à payer aux parties civiles des dommages et intérêts. En particulier, la cour d’appel considéra que :

« L’article incriminé du « Petit Sport » dont le titre « La sélection arbitraire » indique immédiatement au lecteur l’esprit violemment polémique, impute aux personnes qu’il vise la volonté délibérée de choisir les sportifs sélectionnés à partir de critères totalement arbitraires - l’article parle de « pouvoir absolu » et de « dictateur du sport » - racistes - il est question de « blanchir l’équipe de France » - ou de favoritisme - certains entraîneurs étant accusés de faire bénéficier « sans vergogne » leurs élèves des faveurs de la sélection.

Il est indiscutable que de telles imputations - racisme, arbitraire, totalitarisme, favoritisme - sont de nature à atteindre l’honneur et la considération des personnes visées puisqu’elles affirment en des termes délibérément outranciers que ces dernières ne respectent ni les préceptes de la morale publique « de notre bonne vieille démocratie française » ni ceux de la morale privée.

Ces imputations sont donc diffamatoires, leur caractère public n’a pas été contesté par les parties, le support utilisé et sa diffusion établissant largement cette publicité (...). »

La cour d’appel ordonna en outre la publication de son arrêt dans le journal Le Petit Sport, ainsi que dans un journal aux choix des parties civiles aux frais des requérants. Le 27 février 1997, les requérants se pourvurent en cassation. Dans leur mémoire du 3 mars 1997, les requérants soutinrent que l’arrêt attaqué pêchait par manque de motivation.

Le 5 mai 1998, la Cour de cassation confirma l’arrêt attaqué aux motifs suivants :

« Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par des motifs exempts d’insuffisance ou de contradiction, et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, le délit de diffamation publique envers particuliers, retenu à la charge [du deuxième requérant], comme auteur principal en sa qualité de directeur de publication et de gérant de la société éditrice, ainsi que de [la première requérante], comme complice, selon les règles de droit commun, pour avoir, en sa qualité de directrice de rédaction, laissé figurer les passages à caractère diffamatoire de l’écrit proposé par [le deuxième requérant], en sachant qu’il serait publié en ces termes ; que les juges ont ainsi justifié leur condamnation solidaire au paiement des indemnités propres à réparer le préjudice résultant de cette infraction (...) »

B. Droit et pratique internes pertinents

a. L’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que :

« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. »

b. La Cour de cassation a l’obligation de soulever d’office les moyens d’ordre public (tels que ceux tranchant des questions de recevabilité ou de compétence) et les moyens de pur droit, à condition qu’ils « aient été implicitement évoqués dans le cadre de l’exposition en fait et en droit de leurs prétentions par les parties » (voir le précis Dalloz de Procédure civile des Professeurs Vincent et Guinchard, 24e édition, p. 927).

GRIEFS

1. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure.

2. Invoquant l’article 10 de la Convention, les requérants se plaignent en outre que la condamnation prononcée à leur encontre par la cour dappel porte atteinte à leur droit à la liberté dexpression.

EN DROIT

1. Les requérants se plaignent de la durée de la procédure et invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

De l’avis du Gouvernement, il ne saurait être contesté que l’affaire présentait une complexité certaine, avérée par les différentes questions juridiques que les juridictions successivement saisies ont eu à trancher, tant au plan de procédure que du fond. En outre, le Gouvernement souligne que les parties ont contribué à l’allongement de la procédure dans la mesure où elles ont multiplié les recours, notamment en cassation. Si l’on ne saurait leur reprocher d’avoir tiré pleinement profit des voies de recours internes, ce comportement constitue, au sens de la jurisprudence européenne, un fait objectif, non imputable à l’État défendeur. Par ailleurs, il ressort de l’examen du dossier que les parties n’ont pas fait preuve d’une conduite particulièrement diligente. Devant le tribunal de grande instance comme devant les cours d’appel successivement saisies, le délai de dépôt des conclusions a empêché l’examen de l’affaire au premier appel de la cause et a nécessité son renvoi systématique à une date ultérieure, ce qui reportait d’autant l’issue du litige. En outre, l’examen du dossier a dû être repoussé à la demande expresse des parties civiles qui ont sollicité des renvois. Enfin, le délai de dépôt, notamment par les parties civiles, des mémoires auprès de la Cour de cassation a été important. Quant au comportement des autorités judiciaires, le Gouvernement affirme que les différentes procédures ont été traitées avec diligence. Seul fait exception le premier pourvoi en cassation, pour lequel la Cour de cassation a statué en deux ans et trois mois. Toutefois, cette durée est compensée par la célérité manifestée dans le cadre des autres instances.

Les requérant combattent les thèses avancées par le Gouvernement et estiment que leur affaire connut une durée excessive.

La Cour note que la procédure a débuté avec les citations à comparaître devant le tribunal de grande instance de Paris, en date des 9 et 12 novembre 1990. La décision définitive sur l’action publique a été rendue par la Cour de cassation le 3 mai 1994. Quant à la décision définitive sur l’action civile, elle a été rendue par la Cour de cassation le 5 mai 1998. La procédure a donc duré au total sept ans, cinq mois et vingt-six jours.

Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, entre autres, l’arrêt Cazenave de la Roche c. France du 9 juin 1998, Recueil 1998-III, p. 1327, § 47).

La Cour estime que l’affaire présentait une certaine complexité et suscita neuf décisions de justice, dont trois arrêts de la Cour de cassation. S’agissant du comportement des parties, elle note qu’en multipliant les recours et en sollicitant plusieurs renvois, celles-ci ont contribué à allonger la procédure. Le Gouvernement ne saurait être tenu responsable pour ces délais.

La Cour rappelle à cet égard que seules les lenteurs imputables à l’État peuvent amener à conclure à l’inobservation du « délai raisonnable » (voir, entre autres, l’arrêt Proszak c. Pologne du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2774, § 40).

Elle note que l’examen du premier pourvoi en cassation s’est étalée sur plus de deux ans et trois mois ; il s’agit assurément d’une période assez longue. Toutefois, à l’exception de ce manquement à la célérité de la procédure, la Cour ne voit aucune période importante d’inactivité imputable aux autorités internes. En effet, la Cour considère que la durée de la procédure devant le tribunal correctionnel de Paris (deux décisions en cinq mois), les cours d’appel de Paris, de Versailles et de Rouen (neuf, huit et onze mois respectivement) et les deux dernières formations de la Cour de cassation (un an et plus d’un mois et un an et plus de deux mois respectivement) ne prête pas à critique. Eu égard à ces éléments, la Cour estime que les autorités ont globalement fait preuve de toute la diligence requise dans la conduite de l’affaire des requérants.

La Cour conclut qu’en l’espèce il n’y a pas eu manquement au « délai raisonnable », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.

2. Les requérants se plaignent en outre que la condamnation prononcée à leur encontre par la cour dappel porte atteinte à leur droit à la liberté dexpression. Ils invoquent l’article 10 de la Convention, qui se lit comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A titre principal, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Les requérants ont certes exprimé, devant les juridictions du fond, leur souhait de démontrer la véracité des faits qu’ils dénonçaient, et excipé de leur bonne foi dans le travail d’investigation qui était le leur, visant à démontrer le caractère arbitraire de la sélection effectuée par la fédération de karaté. Toutefois, ils n’ont nullement excipé, au soutien de leur pourvoi devant la Cour de cassation après leur condamnation, d’un quelconque moyen tenant au caractère attentatoire à la liberté d’expression de la décision rendue à leur encontre par la cour d’appel de Rouen. Ils se sont efforcés de se défendre en axant toute leur stratégie de défense sur des points d’ordre procédural et nont jamais cherché, même de façon incidente, à mettre en évidence une contradiction entre lincrimination retenue à leur encontre et le principe de la liberté dexpression. Notamment, ils n’ont jamais mis en exergue l’existence d’une incompatibilité entre les poursuites à raison de la publication litigieuse, et le principe de la libre information du public. Ainsi, ils nauraient soulevé ni expressément ni en substance devant les juridictions internes le grief déduit de la violation de larticle 10 de la Convention alors même que ce moyen de droit, parfaitement recevable devant le juge national, aurait pu prospérer. Ils nauraient dès lors pas donné la possibilité aux juridictions françaises de se prononcer sur la compatibilité des poursuites pénales engagées à leur encontre avec le principe de la liberté dexpression. En conséquence, la Cour, faute dépuisement des voies de recours internes, ne pourrait connaître de laffaire conformément à la solution quelle a adoptée dans laffaire Ahmet Sadık c. Grèce (arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1654, §§ 32-33).

Quant au fond, le Gouvernement ne conteste pas l’existence d’une ingérence. Il estime toutefois que la condamnation des requérants était justifiée par certaines des entraves à l’exercice de cette liberté, entraves autorisées par le deuxième paragraphe de l’article 10.

Les requérants combattent les thèses avancées par le Gouvernement. Ils affirment que la Cour de cassation a le pouvoir de soulever d’office de moyens de droit et que, dès lors, les magistrats chargés d’examiner leur pourvoi en cassation auraient pu de leur propre chef prendre en considération les libertés garanties par la Convention. Ils notent que les faits révélés dans leur journal provenaient de renseignements communiqués par des membres de l’équipe de France de karaté, qui se disaient victimes de ségrégation de la part de certains entraîneurs. A chaque instant, ils ont rappelé leur bonne foi et rapporté la preuve de la véracité des faits dénoncés. Les requérants concluent que leur condamnation s’analyse en une ingérence disproportionnée dans leur liberté d’expression, compte tenu de l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse.

La Cour rappelle qu’aux termes de larticle 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie quaprès lépuisement des voies de recours internes, tel quil est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.

La Cour rappelle que la finalité de la règle précitée est de ménager aux États contractants loccasion de prévenir ou de redresser – normalement par la voie des tribunaux – les violations alléguées contre eux avant quelles ne soient soumises à la Cour. Cette disposition doit sappliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif » ; il suffit que lintéressé ait soulevé devant les autorités nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs quil entend formuler par la suite devant les organes de le Convention (voir les arrêts Castells c. Espagne du 23 avril 1992, série A n° 236, p. 19, § 27, et Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, pp. 1210-1211, §§ 65-69).

Certes, les requérants ont pour profession de diffuser des informations et ont été condamnés à la suite de la publication d’un article. Toutefois, la Cour constate que le système de défense adopté par les requérants devant les juridictions internes et notamment la Cour de cassation n’a jamais pris en compte une éventuelle violation de la liberté d’informer, mais porta exclusivement sur des points d’ordre procédural. Les requérants ne se sont appuyés ni sur l’article 10 de la Convention, ni sur un moyen d’effet équivalent ou similaire fondé sur le droit interne. Ainsi, ils n’ont pas donné à la Cour de cassation l’occasion de se prononcer, même indirectement, sur létendue du droit dinformation des journalistes. Dans ces conditions, la Cour estime que la liberté d’expression n’était pas en cause, même de façon sous-jacente, dans la procédure devant la Cour de cassation, et que les arguments juridiques avancés par les requérants devant elle ne contenaient aucune doléance liée à larticle 10 de la Convention. Les requérants n’ont donc pas invoqué devant les juridictions nationales, fût-ce seulement en substance, le grief qu’ils tirent devant la Cour de l’article 10 (voir a contrario l’arrêt Fressoz et Roire c. France du 21 janvier 1999, à paraître dans Recueil 1999, §§ 38-39).

Enfin, si les requérants soutiennent que la Cour de cassation aurait pu relever d’office un tel grief, la Cour note, d’une part, que les intéressés n’affirment pas que la Cour de cassation était tenue de le faire et, d’autre part, qu’aucune disposition du Nouveau code de procédure civile ni aucune jurisprudence connue ne fonde cette obligation.

Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

S. Dollé N. Bratza
Greffière Président