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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
6.1.2000
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION[Note1]

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 34075/96
présentée par Djamel CHERAKRAK[Note2]
contre France[Note3]

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 6 janvier 2000 en une chambre composée de

Sir Nicolas Bratza, président,
M. J-P. Costa,
Mme F. Tulkens,
M. P. Kūris,
M. W. Fuhrmann,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section ;

Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 24 juillet 1996 par Djamel Cherakrak contre France et enregistrée le 9 décembre 1996 sous le n° de dossier 34075/96 ;

Vu les rapports prévus à l’article 49 du règlement de la Cour ;

Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 29 mai 1998 et les observations en réponse présentées par le requérant le 9 juillet 1999 ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :


EN FAIT

Le requérant, de nationalité française, né en 1965, se trouve actuellement détenu à Lyon.

Il est représenté devant la Cour par Me A. Aucoin, avocat au barreau de Lyon.

A. Circonstances particulières de l’affaire

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties peuvent se résumer comme suit.

Première procédure

Le 1er avril 1994, après avoir été arrêté et mis en garde à vue le 28 mars 1994, le requérant fut mis en examen par un juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Saint-Etienne pour viol sur mineur de quinze ans et viol ; les victimes étaient respectivement Mlle L. Z. et Mlle I. T. Il fut placé sous mandat de dépôt. Il était en outre reproché au requérant d’avoir commis ces faits en état de récidive légale, pour avoir été antérieurement condamné par la cour d’assises de la Loire, le 19 mars 1987, à sept ans de réclusion criminelle pour viol sous la menace d’une arme.

Le 9 mai 1994, le requérant formula une première demande de mise en liberté. A l’appui de cette demande, il affirmait être victime d’une erreur judiciaire et exprimait ses craintes sur le devenir de son couple s’il devait être maintenu en détention. Le 13 mai 1994, le juge d’instruction rejeta ladite demande.

Une deuxième demande fut présentée le 20 septembre 1994, mais le requérant omit d’y joindre une lettre précisant ses motifs. Elle fut aussi rejetée le 23 septembre.

Pendant cette période, le juge d’instruction ordonna plusieurs expertises, afin de déterminer si le liquide spermatique découvert sur les vêtements des victimes appartenait au requérant, puis pour essayer d’identifier les poils et les cheveux présents dans le véhicule utilisé par le requérant et sur les vêtements d’une des victimes (ordonnances des 6 avril et 24 novembre 1994).

Le 22 mars 1995, le juge d'instruction prolongea la détention provisoire pour une période d’un an, aux motifs que le requérant, déjà condamné à sept ans de réclusion criminelle pour viols le 19 mars 1987, risquait de faire pression sur les témoins et les victimes, de renouveler l'infraction et de prendre la fuite.

Afin de déterminer si les faits que les deux victimes avaient subis, avaient entraîné pour elles des troubles psychiques ou physiques, le juge d’instruction ordonna un examen psychologique de celles-ci (ordonnance de commission d’expert le 2 mai 1995).

Le 7 mars 1995, le requérant demanda une mesure d’expertise médicale et, le 2 mai 1995, un complément à cette première expertise auquel le juge fit droit en désignant un nouvel expert par une ordonnance du 15 mai 1995.

Par ordonnance du 30 janvier 1996, le juge d'instruction rejeta une troisième demande de mise en liberté, du 25 janvier 1995, estimant la détention nécessaire pour prévenir le renouvellement de l'infraction, garantir le maintien du requérant à la disposition de la justice et préserver l'ordre public.

Le 8 février 1996, le juge d’instruction mit en examen supplétivement le requérant du chef de viol avec torture concernant le viol commis sur I. T. Par avis à partie de la même date, le juge d'instruction informa le requérant que l'information paraissait terminée et que l'information serait communiquée aux fins de règlement au procureur de la République à l'issue du délai de recours de vingt jours.

Par ordonnance du 1er mars 1996, le juge d'instruction fit droit à une demande du requérant d'effectuer des vérifications sur le véhicule qu'il aurait utilisé pour commettre les faits et décerna une commission rogatoire qui fut exécutée le 30 avril 1996. Il rejeta une autre demande.

Par ordonnance du 25 mars 1996, le juge d'instruction prolongea la détention provisoire pour une durée d'un an, aux motifs que le maintien en détention était nécessaire pour préserver l'ordre public, quelles qu'aient pu être les garanties de représentation du requérant. Ce dernier en interjeta appel, le 28 mars 1996, à l’appui duquel il adressait un courrier au président de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lyon où il proclamait son innocence et justifiait l’absence de tout recours devant cette juridiction avant celui-ci ; le requérant indiquait à ce propos que les conditions qui avaient légitimé jusqu’alors son placement en détention ne lui semblaient désormais plus réunies.

Par arrêt du 12 avril 1996, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon confirma l'ordonnance de prolongation. Elle estima notamment que :

«(...) compte tenu de la manière dont (le requérant) appréhende les faits, il est à craindre que, s'il était remis en liberté, il n'ait la tentation d'exercer des pressions sur les témoins ou les victimes, ce qu'un contrôle judiciaire, si strict fût-il, serait insuffisant à prévenir (...) ; que le comportement (du requérant), déjà condamné à plusieurs reprises notamment le 19 mars 1987 par la cour d'assises de la Loire du chef de viol avec menace d'une arme, et à nouveau aujourd'hui impliqué dans des faits de même nature, fait redouter une réitération de l'infraction d'autant que les experts ont relevé chez l'intéressé un manque de contrôle de ses pulsions agressives et sexuelles ; que les faits aujourd'hui reprochés, empreints de violence, même s'ils n'ont connu qu'une publicité restreinte, ont causé un trouble grave à l'ordre public fondé sur la protection de l'intégrité physique et psychique de jeunes adolescentes ; que la détention provisoire apparaît donc également nécessaire pour préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction et pour éviter le renouvellement de l'infraction (...).»

Le 15 mai 1996, le juge d’instruction avisa les parties de la fin de l’information, conformément aux dispositions de l’article 175 du code de procédure pénale.

Par ordonnance du 7 juin 1996, le juge d'instruction rejeta une demande d'acte présentée par le requérant, aux motifs qu'il l'avait déjà rejetée le 1er mars 1996 ; le requérant souhaitait que soient entendus les policiers qui l’avaient présenté aux victimes.

Le 14 août 1996, le juge d'instruction communiqua le dossier au procureur général, après avoir requalifié les faits de viol avec actes de torture en viol.

La chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon, après audience du 1er octobre 1996, prononça la mise en accusation du requérant devant la cour d'assises du département de la Loire, pour viol sur mineure de quinze ans et viol en état de récidive légale.

Le 5 décembre 1997, le requérant fut condamné à une peine d’emprisonnement de vingt ans de réclusion criminelle dont deux tiers de peine de sûreté et dix ans d’interdiction des droits civils et civiques.

Le 8 décembre 1997, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt de la cour d’assises. Le 20 janvier 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

La seconde procédure

Le 23 avril 1996, un codétenu (D.P.) déposa plainte contre le requérant pour viols et menaces commis durant le mois d'avril 1996. Le 17 mai 1996, la police entendit un ancien codétenu (J-P.R.) qui porta plainte pour les mêmes faits, commis avec violence, courant 1996.

Le 22 juillet 1996, le requérant fut mis en examen pour viols avec violences.

Le 24 juin 1997, le dossier d'instruction fut transmis au procureur général en vue d'un renvoi devant la cour d'assises. Pendant cette période, les actes suivants furent accomplis : examens psychologiques des deux victimes (dépôt des rapports les 22 et 29 octobre 1996), examen psychiatrique du requérant (dépôt du rapport le 31 décembre 1996), procès-verbal de confrontation entre celui-ci et l’une des victimes - le 24 janvier 1997).

Le 6 mars 1997, le juge d’instruction rendit son ordonnance de soit-communiqué au procureur de la République lequel lui adressa ses réquisitions écrites le 13 juin 1997. Le 24 juin 1997, ce même juge rendit son ordonnance de transmission de pièces au procureur général. Deux jours plus tard, celui-ci établissait son réquisitoire écrit. Le 23 juillet 1997, l’avocat de l’une des deux victimes déposa un mémoire. L’audience devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lyon eut lieu le 5 août 1997.

Le 14 août 1997, la chambre d’accusation rendit un arrêt de renvoi du requérant devant la cour d’assises de la Loire pour viols. L’audience eut lieu en octobre 1998 et le requérant fut condamné à une peine de dix ans de réclusion criminelle.

B. Droit interne pertinent

L’article 144 du code de procédure pénale disposait :

« En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure soit à un an d’emprisonnement en cas de délit flagrant, soit à deux ans d’emprisonnement dans les autres cas et si les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes au regard des fonctions définies à l’article 137, la détention provisoire peut être ordonnée ou prolongée :

Lorsque la détention provisoire de la personne mise en examen est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;

Lorsque cette détention est nécessaire pour protéger la personne concernée, pour mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement, pour garantir le maintien de la personne concernée à la disposition de la justice ou pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction. (…) »

En matière criminelle, la personne mise en examen ne peut en principe être maintenue en détention au-delà d’un an. Toutefois, le juge d’instruction peut, à l’expiration de ce délai, prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à un an, par une décision rendue conformément aux dispositions des premier et quatrième alinéas de l’article 145 ; cette décision peut être renouvelée selon la même procédure et jusqu’à l’ordonnance de règlement (article 145-2 du code de procédure pénale).

La mise en liberté peut être demandée à tout moment au juge d’instruction par la personne détenue ou son avocat sous les obligations prévues à l’article 147 du code de procédure pénale, à savoir l’engagement de l’intéressé de se présenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu’il en sera requis et de tenir informé le magistrat instructeur de tous ses déplacements. Lorsqu’elle est accordée, la mise en liberté peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire (article 148 du code de procédure pénale).

La personne mise en examen peut interjeter appel des ordonnances refusant sa mise en liberté (article 186 du code de procédure pénale). En principe, ladite chambre doit se prononcer dans les quinze jours de l’appel, faute de quoi l’intéressé est mis d’office en liberté (article 194 du code de procédure pénale).

Les arrêts rendus en matière de détention provisoire par la chambre d’accusation peuvent faire l’objet d’un pourvoi devant la chambre criminelle de la Cour de cassation ; cette dernière doit alors statuer dans les trois mois qui suivent la réception du dossier, faute de quoi l’intéressé est mis d’office en liberté (article 567-2 du code de procédure pénale).

La loi du 30 décembre 1996, entrée en vigueur le 31 mars 1997, introduisit un nouvel article 144-1 dans le code de procédure pénale, aux termes duquel :

« La détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité.

Le juge d’instruction doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, selon les modalités prévues à l’article 147, dès que les conditions prévues à l’article 144 et au présent article ne sont plus remplies. »

La même loi ajouta également un article 145-3 qui se lit ainsi :

« Lorsque la durée de la détention provisoire excède un an en matière criminelle ou huit mois en matière délictuelle, les décisions ordonnant sa prolongation ou rejetant les demandes de mise en liberté doivent aussi comporter les indications particulières qui justifient en l’espèce la poursuite de l’information et le délai prévisible de l’achèvement de la procédure (…). »

En application de ces nouvelles dispositions, la Cour de cassation a cassé le 19 août 1997 un arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait confirmé une ordonnance de refus de mise en liberté d’une personne détenue depuis le 1er février 1994 « sans donner les indications particulières justifiant en l’espèce la poursuite de l’information ni indiquer le délai prévisible d’achèvement de la procédure ».

Enfin, l’article 175-1 du code de procédure pénale dispose :

« Toute personne mise en examen ou la partie civile peut, à l’expiration d’un délai d’un an à compter, selon le cas, de la date à laquelle elle a été mise en examen ou du jour de sa constitution de partie civile, demander au juge d’instruction de prononcer le renvoi devant la juridiction de jugement ou de déclarer qu’il n’y a pas lieu à suivre.

Dans le délai d’un mois à compter de la réception de cette demande, le juge d’instruction, par ordonnance spécialement motivée, fait droit à celle-ci ou déclare qu’il y a lieu à poursuivre l’information. Dans le premier cas, il procède selon les modalités prévues à la présente section.

A défaut par le juge d’instruction d’avoir statué dans le délai fixé à l’alinéa précédent, la personne peut saisir directement de sa demande la chambre d’accusation qui, sur réquisitions écrites et motivées du procureur général, se prononce dans les vingt jours de sa saisine. »

GRIEFS

1. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire. Il invoque l'article 5 § 3 de la Convention.

2. Le requérant considère également qu'il a droit à réparation en raison de cette détention. Il invoque l'article 5 § 5 de la Convention.

3. Le requérant se plaint également de la durée de la procédure, prise dans son ensemble. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention.

3. Le requérant se plaint également d'une violation des articles 3, 5 §§ 1 c) et 4, 6 §§ 1, 2 et 3, 8, 13 et 14 de la Convention.

PROCÉDURE

La requête a été introduite le 24 juillet 1996 et enregistrée le 9 décembre 1996.

Le 14 janvier 1998, la Commission européenne des Droits de l’Homme a décidé de porter les griefs du requérant concernant les articles 5 §§ 3 et 5 et 6 § 1 de la Convention à la connaissance du gouvernement défendeur, en l’invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.

Le Gouvernement a présenté ses observations le 29 mai 1998, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 9 juillet 1999, également après prorogation du délai imparti.

Le 8 juillet 1998, la Commission avait décidé d’accorder au requérant le bénéfice de l’assistance judiciaire.

En vertu de l’article 5 § 2 du Protocole n° 11, entré en vigueur le 1er novembre 1998, l’affaire est examinée par la Cour européenne des Droits de l’Homme à partir de cette date.

EN DROIT

1. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et se dit victime d’une violation de l'article 5 § 3 de la Convention, aux termes duquel :

«Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...)»

Selon le Gouvernement, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention : dans la seconde procédure, celui-ci n’a jamais présenté aucune demande de mise en liberté ; dans la première, et pendant toute sa détention, il n’a interjeté appel qu’une seule fois, contre l’ordonnance de prolongation de la détention provisoire du 25 mars 1996 et il ne s’est pas pourvu en cassation contre l’arrêt de la chambre d’accusation du 12 avril 1996 confirmant ladite ordonnance, alors même qu’il pouvait se prévaloir à partir du 31 mars 1997 des dispositions de la loi du 30 décembre 1996 (article 145-3 du code de procédure pénale). Le Gouvernement argue en particulier du caractère efficace du pourvoi en cassation en la matière. En outre, la Gouvernement affirme que l’examen des demandes de mise en liberté du requérant démontre qu’à aucun moment le requérant ne s’est plaint, même en substance, de la durée de la détention provisoire dont il faisait l’objet. A l’exception de la première de ces demandes, il n’a jamais fait valoir l’existence de garanties suffisantes de représentation en justice pour permettre son éventuel élargissement avant le jugement de l’affaire.

Subsidiairement, le Gouvernement soutient que le grief tiré de l’article 5 § 3 est manifestement mal fondé. Les motifs des ordonnances du juge d’instruction et surtout celles de l’unique arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lyon - les impératifs de l’ordre public, le risque de pression sur les témoins et les victimes et le risque de renouvellement de l’infraction - étaient à la fois « pertinentes » et « suffisantes », conformément aux critères dégagées par la Cour. Quant à la conduite de la procédure, les autorités ont fait preuve d’une diligence particulière dans l’instruction de l’affaire, alors qu’il s’agissait d’une affaire criminelle présentant une certaine complexité ; la rapidité de l’instruction permet ainsi de compenser largement le léger retard accusé au stade de son audiencement.

Le requérant prétend que le fait de ne pas avoir saisi la Cour de cassation sur l’arrêt de la chambre d’accusation du 12 avril 1996 ne présente en l’espèce aucune intérêt réel dans la mesure où le pourvoi en cassation ne semble pas être un recours efficace contre les violations de l’article 5 § 3. De plus, il conteste la pertinence des motifs retenus par les juridictions compétentes pour lui refuser sa mise en liberté.

La Cour relève d’abord que le requérant n’a jamais présenté une demande de mise en liberté dans le cadre de la seconde procédure dont il a fait l’objet. En ce qui concerne la première procédure, elle constate qu’entre le 1er avril 1994 (date du placement du requérant en détention provisoire) et le 5 décembre 1997 (date de l’arrêt de la cour d’assises) le magistrat instructeur se prononça plusieurs fois sur le maintien de la mesure litigieuse. Le requérant avait chaque fois la possibilité de saisir le juge d’appel puis la chambre criminelle de la Cour de cassation. Or force est de constater qu’en tout état de cause, il ne se pourvut jamais en cassation de sorte qu’il ne mit pas la haute juridiction en mesure d’examiner son grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention. Rappelant que, en la matière, le pourvoi en cassation constitue une voie de recours interne à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention (voir l’arrêt Civet c. France du 28 septembre 1999, à paraître au Recueil des arrêts et décisions 1999, §§ 41-44), la Cour en conclut que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Le requérant estime par ailleurs avoir droit à une réparation en raison de la violation alléguée de l'article 5 § 3 et se réfère à l'article 5 § 5 de la Convention dont il ressort ce qui suit :

«Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.»

A titre principal, le Gouvernement considère que la question de l’éventuelle indemnisation du requérant à raison de la détention provisoire qu’il a subie est sans objet dans la mesure où il n’a pas épuisé les voies de recours internes et où la durée de cette détention n’a pas présenté un caractère déraisonnable. A titre subsidiaire, il souligne que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes concernant son grief tiré de l’article 5 § 5 car il n’a pas exercé un recours fondé sur l’article L.781-1 du code de l’organisation judiciaire et motivée notamment par l’inobservation des dispositions de l’article 144-1 du code de procédure pénale. En outre, il rappelle que le dommage qui a résulté de cette détention sera réparée par l’imputation de la durée de cette détention sur celle de la condamnation (article 716-4 du code de procédure pénale).

Selon la Cour, le droit à réparation au sens de l’article 5 § 5 suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de l’article 5 de la Convention ait préalablement été établie (arrêt Wassink c. Pays-Bas du 27 septembre 1990, Série A n° 185-A, p. 14, § 38), soit par un organe interne soit par les organes de Strasbourg (telle était la position de la Commission européenne des Droits de l’Homme ; voir notamment sa décision du 3 octobre 1988 sur la recevabilité de la requête n° 10801/84, L. c. Suède, DR n° 61, p. 62).

Or la Cour a déclaré irrecevable le grief du requérant tiré de l’article 5 § 3 de la Convention.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Le requérant se plaint également d'une violation des articles 3, 5 §§ 1 c) et 4, 6 §§ 1, 2 et 3, 8, 13 et 14 de la Convention.

La Cour note que le requérant n’a pas étayé ses allégations à l’égard des articles susmentionnés et qu’aucune apparence de violation de ceux-ci ne ressort des éléments du dossier à la disposition de la Cour.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Le requérant se plaint aussi de la durée des procédures et invoque l'article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

En ce qui concerne la première procédure, le Gouvernement soutient, d’une part, que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes car il n’a pas sollicité, comme il pouvait le faire dès le 1er avril 1995 et en vertu de l’article 175-1 du code de procédure pénale, le renvoi de l’affaire devant la juridiction de jugement ou demandé au juge d’instruction de déclarer qu’il n’y avait pas lieu à suivre. D’autre part, il prétend que la procédure n’a pas dépassé le « délai raisonnable », compte tenu aussi de la date à laquelle le requérant s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la cour d’assises le condamnant. Le Gouvernement renvoie pour l’essentiel à ses arguments relatifs à l’article 5 § 3 où soulignait la complexité de l’affaire et le comportement du requérant qui ne cessait de solliciter des mesures d’investigation complémentaires. Quant à la seconde procédure, le Gouvernement affirme que les autorités judiciaires l’ont traitée avec une grande célérité. Si l’audience fut fixée en octobre 1998, c’est parce que le président de la cour d’assises a délibérément choisi que le requérant et ses deux victimes (qui étaient eux aussi poursuivis pour viol et devaient également être jugés par la cour d’assises de la Loire) ne soient pas jugés au cours de la même session d’assises.

Le requérant conteste que l’allongement du délai précédant l’audience était décidé dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

a) En premier lieu, la Cour estime devoir écarter l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes, car l’article 175-1 ne peut pas entrer en ligne de compte en l’espèce : à la date du 1er avril 1995, mentionnée par le Gouvernement, l’instruction était pendante et plusieurs expertises, concernant entre autres les victimes du requérant, étaient encore en cours. De plus, la Cour note que le 8 février 1996, le juge d’instruction mit en examen supplétivement le requérant du chef de viol avec torture concernant le viol commis sur Mlle I. T. et que le 14 août 1996, il communiqua le dossier au procureur général, après avoir requalifié les faits de viol avec actes de torture en viol.

b) Quant au fond, la Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes lesquelles commandent en l’occurrence une évaluation globale (voir parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Boddaert c. Belgique du 12 octobre 1992, série A n° 235-D, p.82, § 36).

1) En ce qui concerne la seconde procédure, la Cour note qu’elle a débuté le 22 juillet 1996, avec la première comparution du requérant, et a pris fin en octobre 1998, avec l’audience devant la cour d’assises de la Loire, lors de sa session du 12 octobre 1998. Elle a donc duré vingt-sept mois environ. Si la phase de l’instruction s’est déroulée avec célérité, la phase du jugement fut un peu longue, dans la mesure où l’arrêt de la chambre d’accusation renvoyant le requérant en jugement datait du 14 août 1997 et l’audience devait avoir lieu en octobre 1998, soit quatorze mois plus tard. Toutefois, la durée globale de la procédure, ne paraît pas excessive, compte tenu aussi du souci des autorités d’assurer une bonne administration de la justice, qui s’est manifesté par le choix du président de la cour d’assises de tenir à des dates séparées les audiences concernant les personnes impliquées (dont le requérant) dans l’affaire litigieuse (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Boddaert c. Belgique précité, p.82, § 39).

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2) Quant à la première procédure, la Cour relève qu’elle a débuté le 1er avril 1994, avec la mise en examen du requérant, et s’est terminée le 20 janvier 1999 avec l’arrêt de la Cour de cassation. Elle a donc duré quatre ans, dix mois et dix-neuf jours.

La Cour estime que cette partie de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui nécessitent un examen au fond. Dès lors, elle ne saurait être déclarée manifestement mal fondée en application de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, le grief du requérant concernant l’article 6 § 1 de la Convention et la durée de la première procédure ;

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE pour le surplus.

S. Dollé N. Bratza

Greffière Président


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[Note2] Ne mettre que les initiales si non public ; prénom et, en majuscules, le nom de famille ; nom corporatif en majuscules ; pas de traduction des noms collectifs.

[Note3] Première lettre du pays en majuscule. Mettre l’article selon l’usage normal de la langue.