Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
24.8.1999
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 31844/96

présentée par Orhan TARHAN

contre Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en chambre le 24 août 1999 en présence de

Mme E. Palm, présidente,

M. J. Casadevall,

M. Gaukur Jörundsson,

M. R. Türmen,

M. C. Bîrsan,

Mme W. Thomassen,

M. R. Maruste, juges,

et de M. M. O’Boyle, greffier de section ;

Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 29 décembre 1995 par Orhan Tarhan contre Turquie et enregistrée le 12 juin 1996 sous le n° de dossier 31844/96 ;

Vu le rapport prévu à l’article 49 du règlement de la Cour ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :


EN FAIT

Le requérant, ressortissant turc, né en 1965, est ouvrier. Il est actuellement détenu.

Devant la Cour, il est représenté par Me Hülya Üçpınar, avocate au barreau d’İzmir.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la partie requérante, peuvent se résumer comme suit.

A. CIRCONSTANCES PARTICULIERS DE L’AFFAIRE

Le 11 août 1993, un certain B. Erdoğan fut appréhendé à son domicile, dans le cadre d’une opération policière. Les policiers y saisirent entre autres des documents cryptés concernant la structure interne d’une organisation armée d’extrême gauche, Devrimci Sol. L’on reprochait à B. Erdoğan d’être le responsable des activités de cette organisation dans les régions égéenne et méditerranéenne.

Le 13 août 1993, le requérant, C. Şengül, et six autres personnes furent arrêtés et placés en garde à vue, tous accusées d’appartenance et/ou de soutien à Devrimci Sol. En la possession du requérant furent trouvés des publications interdites, un manuel de fabrication de sceaux et d’estampes, un formulaire de curriculum vitae vierge et un autre rempli au nom du requérant, certaines notes codées, intitulées « situation générale » et contenant des informations sur les autorités administratives et les journaux locaux ainsi que sur des étudiants, fonctionnaires et avocats de la région.

Lors de sa garde à vue, à savoir le 20 août 1993, le requérant –de même que les autres coaccusés– signa une déclaration détaillée consistant en des aveux. Quant à B. Erdoğan, il trouva la mort le 22 août 1993 –alors qu’il était encore sous détention– dans des circonstances controversées, lesquelles firent d’ailleurs l’objet d’une requête (n° 26337/95) encore pendante devant la Cour.

Le 23 août 1993, le procureur de la République recueillit la déposition du requérant, qui s’expliqua ainsi : « au sein du Devrimci Sol, je n’étais chargé que des fonctions de courrier (…) je n’ai eu aucune participation effective à une quelconque opération (…) je transmettais à B. Erdoğan, les instructions écrites que je recevais de C. Şengül (…) ma déclaration actuelle est véridique, mais je dénie celle faite à la police ; celle-ci avait été préparée par les policiers qui m’ont contraint à la signer (…) ». Devant le procureur, C. Şengül, lui aussi, niant ses aveux antérieurs, dit n’avoir fait que de lire régulièrement le journal politique, Mücadele, et de transmettre à B. Erdoğan, par le biais du requérant, des informations sur les lecteurs actuels et potentiels dudit journal. Toujours le 23 août 1993, le requérant fut interrogé par le juge d’instruction, devant lequel il réitéra les mêmes dires et contesta, à nouveau, la déclaration signée à la police. Le juge ordonna sa mise en détention provisoire.

Le 6 septembre 1993, le procureur de la République près la Cour de sûreté de l’État d’İzmir (« procureur » ; «Cour de sûreté de l’État ») rendit un non-lieu à l’égard du B. Erdoğan, au motif de décès. Cependant par un réquisitoire du même jour, il mit en accusation entre autres le requérant du chef d’appartenance à bande armée, infraction prévue aux articles 168 § 2 du code pénal et 5 de la loi n° 3713.

Devant la Cour de sûreté de l’État, le requérant plaida non coupable et dénia, cette fois-ci, non seulement sa déposition à la police, mais également celles du 23 août 1993, recueillies par le parquet puis le juge d’instruction, au motif qu’elles étaient marquées par la pression psychologique due à la présence d’un policier lors des entretiens. Au demeurant, il fit valoir que son contact avec B. Erdoğan et C. Şengül était limité à aider le premier dans la distribution du journal Mücadele et le second, à trouver du travail.

Par ailleurs, l’avocat du requérant –en ce rejoint par celui de C. Şengül– demanda à ce que les dépositions faites à la police soient retirées du dossier de l’affaire. En outre, il exposa avoir déposé une plainte contre les policiers responsables de la garde à vue de B. Erdoğan, pour chef de falsification de preuves. D’après l’avocat, les procès-verbaux dressés les 12, 14, 16, 20 et 21 août 1993 –en relation avec les prétendus aveux de B. Erdoğan– étaient trafiqués par la police même ; dès lors que l’acte d’accusation déposée en l’espèce se fondait largement sur les preuves mentionnées dans lesdits procès-verbaux, il fallait –aux yeux de l’avocat– que la Cour de sûreté de l’État en entende les signataires et sursoie à statuer jusqu’à l’aboutissement de ce procès.

Quant au procureur, il fit observer qu’il serait opportun que les juges s’enquièrent également sur l’instruction pénale qui se trouvait ouverte contre les mêmes policiers, pour actes de torture sur la personne de B. Erdoğan.

La Cour de sûreté de l’État fit droit à la demande du procureur, mais écarta celle de l’avocat, relative au sursis à statuer. Elle prît également acte de ce que les versions décryptées des documents codés avaient bien été versées au dossier.

Lors des débats du 29 juin 1994, le procureur, arguant de ce que l’issue des procédures pénales diligentées contre les policiers susmentionnés pourrait jouer sur le sort des prévenus, demanda la libération conditionnelle du requérant et de C. Şengül. Le même jour, la Cour de sûreté de l’État accéda à cette demande. En outre, dans ses observations finales du 18 août 1994, le procureur sollicita que les déclarations controversées, que le requérant et C. Şengül avaient signées lors de leur garde à vue, soient retirées du dossier de l’affaire. Quant aux avocats des prévenus, ils prièrent la Cour de sûreté de l’État de ne considérer que les déclarations faites devant elle.

Par arrêt du 29 septembre 1994, la Cour de sûreté de l’État déclara le requérant et C. Şengül coupables du chef d’appartenance à une bande armée et le condamna finalement à une peine d’emprisonnement de 12 ans et 6 mois. Dans son jugement, elle se prononça comme suit.

« L’ÉTAT DES PREUVES : (…) parmi les documents perquisitionnés chez O. Tarhan, constituant la preuve n° 46, se trouvent un curriculum vitae décrypté, que celui-ci a préparé pour donner à B. Erdoğan, un formulaire de curriculum vitae fourni par ce dernier, un manuel de fabrication de faux papiers d’identité ainsi qu’un rapport d’activité, intitulé ‘la situation générale’ (…) et, enfin, un rapport d’expertise graphologique, établissant que le curriculum vitae en question est bien de la main du prévenu ; parmi les documents, constituant la preuve n° 48, perquisitionnés chez le défunt B. Erdoğan (…), se trouve un rapport, intitulé ‘mes observations sur la situation générale’ et accompagné d’un organigramme de l’organisation locale [du Devrimci Sol] (…), dans lequel le prévenu O. Tarhan est cité en tant que le responsable, au sein de l’organisation, de la région Aydın-Denizli-Muğla ; sous le n° 35, il y a la liste des publications trouvées chez O. Tarhan et qui ont déjà fait l’objet d’une mesure judiciaire de confiscation (…) ; sous le n° 40, se trouve des rapports médicaux concluant à l’absence d’une quelconque trace de mauvais traitement sur le corps des prévenus ; sous le n° 123, se trouve des explications quant au décryptage des documents codés, qui avaient été retrouvés sur O. Tarhan et les clés des chiffres.

CONCLUSIONS ET CONSIDÉRATIONS : Le Devrimci Sol, est une organisation terroriste (…) dont le but est de renverser, par recours à la force armée, l’ordre constitutionnel. Le journal Mücadele est son organe de publication, dont l’objectif est de faire la propagande de l’organisation, de gagner des sympathisants et recruter des membres (…). Bien que, devant notre Cour, O. Tarhan a plaidé ne pas être membre de l’organisation armée Devrimci Sol, eu égard aux éléments exposés dans la partie État des preuves, (…) à savoir les déclarations des coaccusés à la police, qui se corroborent, les dépositions devant le parquet et le juge instructeur de O. Tarhan et C. Şengül, qui appuient lesdites déclarations, les rapports d’expertise (…), les documents appartenant à l’organisation, perquisitionnés chez O. Tarhan et, en particulier, chez B. Erdoğdu (…), et les attestation médicales concernant les prévenus (…), la Cour a estimé que le désaveu de l’intéressé a pour but de soustraire celui-ci à la condamnation et devrait donc être écarté.»

Au demeurant, la Cour de sûreté de l’État acquitta quatre des coaccusés, au motif d’absence d’une preuve à charge autre que les déclarations faites à la police et déniées par la suite.

Sur pourvoi entre autres de l’avocat du requérant, la Cour de cassation confirma, par arrêt du 30 mai 1995, le jugement attaqué dans toutes ses dispositions.

B. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

Le code pénal turc réprime le fait pour un agent public de soumettre quelqu'un à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements). Les procureurs ont le devoir d'examiner les allégations d'infractions graves qui viennent à leur connaissance, même en l'absence de plaintes conformément à l’article 148 du code de procédure pénal. Par ailleurs, en application de l’article 235 du code pénal, un fonctionnaire se trouve, sous peine d’emprisonnement, dans l’obligation de dénoncer au parquet compétent une infraction pénale portée à sa connaissance lors de l’accomplissement de ses fonctions.

GRIEFS

1. Devant la Cour, le requérant se plaint en premier lieu de la durée excessive de sa garde à vue et dénonce une violation de l’article 5 § 3 de la Convention. Par ailleurs, se disant incapable de produire un rapport médicale à l’appui de ses allégations, selon lesquelles il aurait subi de mauvais traitements lors de sa garde vue, il affirme qu’il devrait –à tout le moins– passer pour avoir subi une « pression psychologique », contraire à l’article 3 de la Convention, ce en raison des circonstances dans lesquelles son coaccusé, B. Erdoğan, a trouvé la mort.

2. Le requérant allègue enfin que sa condamnation a emporté violation de l’article 6 § 1 de la Convention, puisqu’elle était fondée sur des preuves, dont l’emploi a suffit à rendre inéquitable son procès.

A cet égard, il affirme avoir été poursuivi et condamné sur le fondement, d’une part, des déclarations qui lui auraient été extorquées par la police, alors qu’il était sous une pression psychologique et, d’autre part, des preuves à charge et pièces à conviction obtenues dans des circonstances douteuses, voire illicites, lesquelles auraient valu la mort à B. Erdoğan. Or, en dépit de ces faits, la Cour de sûreté de l’État aurait à tort refusé d’accéder à ses demandes tendant à faire exclure du dossier sa déposition à la police et à faire entendre les signataires des procès-verbaux établis par les policiers ayant interrogé B. Erdoğan. Le requérant déplore que la Cour de sûreté de l’État n’ait pas non plus accepté de surseoir à statuer jusqu’à ce que les deux procédures pénales diligentées contres lesdits policiers aboutissent, malgré l’enjeu que celles-ci représentaient pour la défense de sa cause.

EN DROIT

1. Le requérant fait grief de la durée de sa garde à vue et allègue une violation de l’article 5 § 3 de la Convention. Il soutient en outre que la pression psychologique qu’il aurait subi au cours de cette période, notamment en raison de la mort controversée de B. Erdoğan, constitue un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

Quant au premier problème soulevé en l’espèce, la Cour relève que le requérant demeura en garde à vue depuis 11 août 1993, date de son arrestation, jusqu’à sa comparution devant le juge d’instruction le 23 août 1993, ce qui mis fin à sa garde à vue. En l’espèce, rien n’indique que l’intéressé ait été empêché de soulever ce grief devant la Commission immédiatement après avoir été traduit devant le juge d’instruction.

Quant aux sentiments d’appréhension ou d’inquiétude que le requérant pourrait bien avoir éprouvé lors de sa garde à vue, la Cour constate que le 23 août 1993, celui-ci –bien qu’en des termes différentes – s’est plaint des conditions de sa détention devant le procureur puis le juge d’instruction. Ceux-ci n’agirent point. Tel qu’il ressort du dossier, le requérant a également réitéré des allégations similaires lorsqu’il comparut devant la Cour de sûreté de l’État, le 13 octobre 1993. Vu le compte rendu dressé en conséquence, les juges de fond n’agirent pas non plus. Dès lors, le requérant devrait passer pour avoir épuisé les voies de recours internes, au plus tard, à cette dernière date. Par ailleurs, eu égard au contenu de la plaidoirie du requérant devant la juridiction de première instance, les appréhensions que celui-ci eût pu avoir, se trouvaient, aux yeux de la Cour, dissipés à ce stade de la procédure.

Par conséquent, la requête n’ayant été introduite que le 29 décembre 1995, il échet de constater que les griefs dont il s’agit ont été formulés tardivement, vu les dispositions de l’article 26 ancien de la Convention.

L’examen de l’affaire ne relevant pas l’existence de circonstances particulières qui auraient pu interrompre ou suspendre le cours du délai de six mois prévu dans cette disposition, la Cour estime que cette partie de la requête doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.

2. Invoquant l’article 6 § 1, le requérant dénonce les circonstances dans lesquelles les preuves à charge ont été recueillies et appréciées dans son procès ; il se dit victime d’une atteinte à son droit à un procès équitable.

La Cour rappelle que si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation en tant que telles, matières qui dès lors relèvent au premier chef du droit interne. La Cour ne saurait donc exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve recueillie sans respecter la loi. Il lui incombe seulement de rechercher si dans le chef du requérant la procédure a présenté dans l’ensemble un caractère équitable, comme le veut l’article 6 § 1 (arrêts Schenk c. Suisse du 12 juillet 1988, série A n° 140, p. 29, § 46 et, mutatis mutandis, Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-.., p. .., §§ 45, 46).

Tel qu’il ressort du dossier, le requérant a bénéficié d’une procédure contradictoire et a pu, aux différents stades de celle-ci, présenter les arguments qu’il jugeait pertinents pour la défense de sa cause. Il eut la possibilité, dont il usa, de contester l’authenticité ainsi que de combattre l’emploi de certaines preuves, ce aussi bien dans la procédure de première instance que celle de cassation. Que ses efforts en ce sens aient échoué n’y change rien. La Cour estime donc qu’il n’y pas eu en l’espèce méconnaissance des droits de la défense du requérant.

Cela étant, la Cour relève par ailleurs que les pièces à conviction et les preuves à charge que le requérant conteste, à savoir celles dont font état les procès-verbaux litigieux dressés entre les 12 et 21 août 1993 en relation avec les déclarations controversés de B. Erdoğan, ne sont guère entrés en ligne de compte pour sa condamnation. La même considération vaut également pour le refus opposé par de la Cour de sûreté de l’État aux demandes des avocats des prévenus tendant à faire entendre les policiers signataires desdits procès-verbaux et/ou à surseoir à statuer en attendant l’issue des procès entamés contre ces policiers. En effet, ces demandes visaient à combattre l’emploi des preuves obtenu par rapport à B. Erdoğan et qui, de toute vraisemblance, n’ont pas fondé la condamnation considérée en l’espèce. Rien ne permet non plus de penser qu’une déposition faite par B. Erdoğan n’ait été employée contre le requérant.

Tel qu’il ressort du dossier, le seul élément obtenu en relation avec B. Erdoğan et utilisé à charge du requérant, semble n’être que l’organigramme de Devrimci Sol, qui avait été saisi sur B. Erdoğan au moment de son arrestation, le 11 août 1993, soit avant tout ce qu’eût pu se passer lors de son interrogatoire.

Quant aux dépositions litigieuses que le requérant aurait fait lors de sa garde vue, il importe d’abord de rappeler qu’en l’espèce, la Cour de sûreté de l’État a acquitté quatre des coaccusés, considérant que leurs déclarations à la police n’étaient point appuyées par une autre preuve. Quant à la déposition du requérant, elle n’a été pris en compte que dans la mesure où elle était corroborée avec ses déclarations –ainsi que celles du coaccusé C. Şengül– devant le procureur et le juge d’instruction.

La Cour attache aussi du poids à la circonstance que cette appréciation globale de la Cour de sûreté de l’État sur l’ensemble des déclarations du requérant n’a pas constitué le seul moyen de preuve retenu pour motiver sa condamnation. En effet, hormis l’organigramme crypté susmentionné, la Cour de sûreté de l’État a pris soin de préciser, en divers endroits de son jugement, sur quels éléments matériaux, distincts desdites déclarations mais corroborant les raisons tirées de celles-ci, de constater la culpabilité du requérant.

Au vue de ce qui précède, la Cour estime que la procédure litigieuse a revêtu un caractère équitable dans le chef du requérant et que le grief dont il s’agit doit donc être rejeté conformément à l’article 35 § 3 de la Convention.


Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.

Michael O’Boyle Elisabeth Palm
Greffier Présidente