Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
15.6.1999
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 22279/93

présentée par Mehmet Altunç ALTAY

contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en chambre le 15 juin 1999 en présence de

Mme E. Palm, présidente,

M. J. Casadevall,

M. L. Ferrari Bravo,

M. C. Bîrsan,

Mme W. Thomassen,

M. R. Maruste, juges,

M. F. Gölcüklü, juge ad hoc,

et de M. M. O’Boyle, greffier de section ;

Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 14 avril 1993 par Mehmet Altunç Altay contre la Turquie et enregistrée le 19 juillet 1993 sous le n° de dossier 22279/93 ;

Vu les rapports prévus à l’article 49 du règlement de la Cour ;

Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur les 20 juin 1995 et 2 juillet 1997 et les observations en réponse présentées par le requérant les 7 août 1995 et 17 août 1997 ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant turc, né en 1956. Lors de l'introduction de la requête, il était détenu dans la maison d'arrêt de Bayrampaşa

Il est représenté devant la Cour par Me Ergin Cinmen, avocat au barreau d’İstanbul.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. Procédure pénale dirigée contre le requérant

Le 2 février 1993, le requérant fut placé en garde à vue par la section antiterroriste de la police d'İstanbul. Il lui fut reproché d'avoir été l'instigateur d’actes de violence commis au nom d'un groupe terroriste de tendance de gauche (TKP/B - SHB, parti communiste turc, mouvement armé) et d'avoir été l'un des auteurs principaux de certains de ces actes.

Lors de sa garde à vue, l'avocat du requérant demanda au procureur de la République près la Cour de sûreté de l'Etat d'İstanbul, l'autorisation de s'entretenir avec son client. Le 4 février 1993, le parquet donna suite à cette demande.

Cependant, les responsables de la police d'İstanbul nièrent la présence du requérant dans les locaux de la police et l'avocat du requérant ne put s'entretenir avec son client.

Le 15 février 1993, la section antiterroriste de la police d'İstanbul demanda au bureau de la médecine légale d'İstanbul de procéder à l'examen médical du requérant et d'indiquer si des traces de mauvais traitement pouvaient être décelées sur son corps. Le même jour, ledit bureau communiqua son rapport faisant état de trois blessures récentes à la tête du requérant et prescrivit à celui-ci trois jours d'arrêt de travail.

Le 16 février 1993, le requérant fut traduit devant le juge qui ordonna sa mise en détention provisoire.

Par acte d'accusation du 4 mars 1993, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat reprocha au requérant d'être l'un des fondateurs et des dirigeants d'une bande armée visant à détruire l'ordre constitutionnel, d'avoir participé à des attentats à la bombe et à des vols à main armée commis par cette bande armée.

Devant la cour de sûreté de l'Etat d'İstanbul, le représentant du requérant affirma que les seuls éléments de preuve présentés par le parquet à l'appui de ses accusations étaient les dépositions des autres coaccusés de cette affaire, recueillies par la police sous la contrainte. Il fit observer que ces coaccusés avaient rétracté leur déposition faite à la police, dès qu'ils furent traduits devant un magistrat. Le représentant du requérant exposa que la longue durée de la garde à vue et l'absence de l'assistance d'un avocat pendant cette période avaient permis aux policiers d'interroger son client ainsi que les autres prévenus sous la contrainte.

Par jugement du 26 mai 1994, la Cour de sûreté de l'Etat déclara le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à la réclusion à perpétuité. En matière d’appréciation des preuves, la Cour estima qu’étant donné que la signature de l’intéressé ne figurait pas sur sa déposition recueillie par les forces de sécurité, celles-ci avaient dû être écartées. De ce fait, elle fonda son jugement sur les dépositions des autres coaccusés ainsi que sur l’identification de l’intéressé par ceux-ci, et sur le procès-verbal d’arrestation du requérant faisant état de ce qu’il était possession de faux papiers d’identité.

Par arrêt du 2 juin 1995, la Cour de cassation confirma le jugement du 26 mai 1994.

B. La plainte du président de l’Association des Droits de l’Homme concernant la               durée de la garde à vue du requérant

Le 12 février 1993, le président adjoint de l'Association des droits de l'homme saisit le ministère de la Justice pour la durée excessive de la garde à vue d'un certain nombre de personnes dont le requérant.

Le 4 mars 1993, le parquet d'İstanbul se déclara incompétent quant au recours du 12 février 1993 fait par l'Association des droits de l'homme et renvoya le dossier à la préfecture d'İstanbul en vertu de la loi sur les poursuites des fonctionnaires.

Le 8 avril 1993, la préfecture d’İstanbul chargea le procureur de la République d’enquêter sur la plainte déposée par le président adjoint de l’Association des Droits de l’Homme.

Le 5 juillet 1993, le procureur de la République présenta son rapport dans lequel il avait conclu que la durée de la garde à vue des plaignants était conforme à la législation en la matière. Il demanda à la préfecture d’İstanbul de classer la plainte.

Par décision du 19 juillet 1993 du préfet d’İstanbul, la plainte aurait été classée.

C. La plainte du requérant pour mauvais traitements

Le 11 mai 1993, le requérant porta plainte auprès du procureur de la République d'İstanbul pour mauvais traitements. Il allégua que les agents de police responsables de sa garde à vue lui avaient fait subir des mauvais traitements lors de sa garde à vue.

Par lettre du 21 juin 1993, le directeur de la Direction de sûreté d’İstanbul informa la préfecture d’İstanbul du résultat de l’enquête concernant la plainte pénale du requérant. Il releva que les policiers avait employé la force pour arrêter le requérant et que lors de l’interrogatoire, ce dernier avait tenté de fuir et heurté sa tête contre la porte. Enfin, il demanda à la préfecture d’İstanbul de classer l’affaire pour absence de preuves suffisantes.

A ce jour, le requérant ne dispose d’aucune information relative à sa plainte.

GRIEFS

Le requérant allègue en premier lieu la violation de l'article 3 de la Convention dans la mesure où il aurait été systématiquement soumis à des mauvais traitements lors de sa garde à vue.

Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint ensuite de n’avoir pas été aussitôt traduit devant un magistrat ou un juge durant sa garde à vue allant du 2 et au 16 février 1993.

Le requérant se plaint par ailleurs de ce que sa cause n’aurait pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial, contrairement à l'article 6 § 1 de la Convention. Il expose à cet égard que les cours de sûreté de l'Etat ont une structure différente de celle des juridictions pénales ordinaires.

Le requérant se plaint en outre de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant la cour de sûreté de l’Etat, dans la mesure où la condamnation prononcée à son encontre serait basée sur des dépositions prises sous la contrainte.

Il allègue enfin la violation de l'article 6 § 3 c) de la Convention, dans la mesure où il aurait été privé, durant sa garde à vue, de l'assistance de son avocat.

PROCÉDURE

La requête a été introduite le 14 avril 1993 et enregistrée le 19 juillet 1993.

Le 20 février 1995, la Commission a décidé de porter le grief du requérant concernant les articles 5 § 3, 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à la connaissance du gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête et d'ajourner l'examen du grief soulevé sous l'angle de l'article 3 de la Convention.

Le Gouvernement a présenté ses observations le 20 juin 1995 et le requérant y a répondu le 7 août 1995.

Le 7 mars 1997, la Commission a décidé de demander des observations supplémentaires au gouvernement défendeur pour autant que la requête porte sur le grief tiré de l'article 3 de la Convention.

Le Gouvernement a présenté ses observations supplémentaires le 2 juillet 1997, le requérant y a répondu le 17 août 1997.

A compter du 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention, et en vertu de l'article 5 § 2 de celui-ci, la requête est examinée par la Cour conformément aux dispositions dudit Protocole.

EN DROIT

1. Le requérant se plaint, en premier lieu, de ce qu'il avait été systématiquement soumis à des mauvais traitements lors de sa garde à vue. Il invoque à cet égard l'article 3 de la Convention ainsi libellé:

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Le gouvernement défendeur soulève une exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il expose à cet égard que, le 12 février 1993, le président adjoint de l'Association des droits de l'homme saisit le ministère de la Justice pour la durée excessive de la garde à vue d'un certain nombre de personnes dont le requérant. Cette plainte a été classée par décision du 19 juillet 1993 prise par le préfet d’İstanbul suite au rapport du procureur de la République ayant conclu que la durée de la garde vue des plaignants était conforme à la législation en la matière. Il fait notamment valoir que ni le requérant, ni son représentant n'avaient pas formulé de plainte en ce qui concerne les mauvais traitements que le requérant prétend avoir subis.

Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement et soutient que, le 11 mai 1993, il a déposé auprès du procureur de la République d'İstanbul une plainte contre les policiers responsables de sa garde à vue, durant laquelle ceux-ci lui auraient infligé de mauvais traitements. Mais cette plainte a été classée sans qu’elle fasse l’objet d’une enquête approfondie.

La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l'article 35 § 1 de la Convention impose à un requérant l’obligation d’utiliser auparavant les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (arrêt Yaşa c. Turquie du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI n° 88,

§ 71).

Le requérant peut établir que les faits de la cause ou encore certaines circonstances particulières le dispensent de l'obligation d'épuiser les recours internes. L'un des éléments d'appréciation peut être la passivité totale des autorités nationales face à des allégations sérieuses selon lesquelles des agents de l'Etat ont commis des fautes ou causé un préjudice, par exemple lorsqu'elles n'ouvrent aucune enquête, ne proposent aucune aide (arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1211, § 68) ou lorsque la durée exigée pour l'exercice d'un recours conduit au constat qu'il n'est pas efficace (voir notamment N 15530/89 et 15531/89, Mitap et Müftüoglu c. Turquie, déc. 10.10.91, D.R. 72, p. 169).

La Cour doit donc appliquer la règle en tenant dûment compte du contexte (arrêts Van Oosterwijck c. Belgique du 6 novembre 1980, série A n 40, p. 18, § 35 ; Akdivar et autres c. Turquie, précité), l'article 35 § 1 devant s'appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, série A n 200, p. 18, § 34).

La Cour relève que, le 11 mai 1993, le requérant a déposé auprès du procureur de la République d’İstanbul une plainte pour mauvais traitements. Elle constate que le dernier acte effectué dans le cadre de l’enquête est daté du 21 juin 1993, date de la lettre du directeur de la Direction de sûreté d’İstanbul qui avait demandé à la préfecture de classer l’affaire. Il ressort des éléments du dossier que depuis cette date, la procédure ne connaît pas d'évolution.

A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulève des questions étroitement liées au fond de la cause qu’il n’y a pas lieu de les résoudre au stade actuel de la procédure. Par conséquent, elle la joint au fond.

La Cour observe que les parties ne se prononcent pas sur le bien-fondé de ce grief.

La Cour a procédé à un examen préliminaire de l'ensemble de ces griefs et de l'argumentation des parties. Elle estime que la requête pose à cet égard des questions de droit et de fait complexes qui ne sauraient être résolues à ce stade de son examen, mais nécessitent un examen au fond. Cette partie de la requête ne saurait, dès lors, être déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate par ailleurs que cette partie de la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

2. Le requérant se plaint ensuite de n’avoir pas été aussitôt traduit devant un magistrat ou un juge durant sa garde à vue allant du 2 et au 16 février 1993. Il invoque à cet égard l'article 5 § 3 de la Convention dans sa partie pertinente libellée ainsi :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires (…). »

La Cour observe que les parties ne se prononcent pas sur la recevabilité de ce grief.

Après avoir procédé à un examen préliminaire des faits, la Cour considère que ce grief pose des questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure et nécessitent un examen au fond de l'affaire. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. En outre, il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

3. Le requérant allègue une double violation de l’article 6 § 1 de la Convention. D’une part, il se plaint de ce que sa cause n'aurait pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial. Il expose à cet égard que les Cours de sûreté de l'Etat ont une structure différente de celle des juridictions pénales ordinaires. D’autre part, il se plaint de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant la cour de sûreté de l’Etat, dans la mesure où la condamnation prononcée à son encontre serait basée sur des dépositions prises sous la contrainte. Il allègue en outre la violation de l'article 6 § 3 c) de la Convention, dans la mesure où il aurait été privé, durant sa garde à vue, de l'assistance de son avocat.

L'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, dans sa partie pertinente se lit ainsi :

«1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...), par un tribunal indépendant et impartial, (...), qui décidera, (...) du bienfondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

c. se défendre luimême ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ; (...) ».

Le Gouvernement, en citant les dispositions de la Constitution turque, soutient que les cours de sûreté de l'Etat sont des juridictions spéciales instituées «dans le but de prendre dans les meilleures conditions et les meilleurs délais, des décisions concernant des délits prévues par la loi relative à l'existence et à la pérennité de l'Etat ». Il fait valoir que l'indépendance et l'impartialité des cours de sûreté de l'Etat sont garanties par la constitution comme celles de toute instance judiciaire.

Quant au grief du requérant concernant l’utilisation de ses dépositions prétendument recueillies sous la contrainte, le gouvernement défendeur soutient que la cour de sûreté de l’Etat, dans son jugement du 26 mai 1994, n’a pas pris en compte ses dépositions pour la déclaration de culpabilité du requérant.

Le requérant s’oppose aux thèses du Gouvernement. En se réferant à l'arrêt Incal c. Turquie (arrêt Incal c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil 1998-IV), il réitère son grief selon lequel ces cours ne sont pas indépendantes et impartiales. Il fait valoir que l'absence d'indépendance de ces cours pose problème au regard de l'équité de la procédure devant lesdites juridictions.

Après avoir procédé à un examen préliminaire des faits et des arguments des parties, la Cour considère que ces griefs posent des questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de la procédure et nécessitent un examen au fond de l'affaire. Dès lors, ils ne sauraient être déclarés manifestement mal fondés, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. En outre, ils ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

JOINT AU FOND LA QUESTION RELATIVE A L’EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES POUR MAUVAIS TRAITEMENTS, et

DÉCLARE LA REQUÊTE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.

Michael O’Boyle Elisabeth Palm
Greffier Présidente