Přehled

Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
15.6.1999
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 34000/96

présentée par Albert DU ROY et Guillaume MALAURIE

contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en chambre le 15 juin 1999 en présence de

Sir Nicolas Bratza, président,

M. J.-P. Costa,

M. L. Loucaides,

M. P. Kūris,

Mme F. Tulkens,

M. K. Jungwiert,

Mme H.S. Greve, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section ;

Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 13 septembre 1996 par Albert DU ROY et Guillaume MALAURIE contre la France et enregistrée le 29 novembre 1996 sous le n° de dossier 34000/96 ;

Vu les rapports prévus à l’article 49 du règlement de la Cour ;

Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 10 février 1998 et les observations en réponse présentées par les requérants le 2 avril 1998 ;

Après en avoir délibéré ;

Rend la décision suivante :


EN FAIT

Les requérants, de nationalité française, sont journalistes à L’Événement du Jeudi et résident à Paris. Le premier requérant est né en 1938 en Belgique ; il était directeur de la publication de L’Événement du Jeudi à l'époque des faits. Le second requérant est né en 1952 à Paris ; il était journaliste au sein du même hebdomadaire à l'époque des faits.

Devant la Cour, les requérants sont représentés par Maître Jean-Yves Dupeux, avocat au barreau de Paris.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. Circonstances particulières de l’affaire

Dans son numéro daté du 11 au 17 février 1993, L’Événement du Jeudi publia un article signé par le second requérant et intitulé : « Sonacotra : quand la gauche fait le ménage à gauche ».

Cet article mettait notamment en cause Michel Gagneux, l'ancien dirigeant de la Sonacotra (société nationale de construction de logements pour les travailleurs) et les relations entretenues par ce dernier avec la nouvelle direction de la Sonacotra, laquelle avait déposé le 10 février 1993 une plainte pénale avec constitution de partie civile contre Michel Gagneux, pour abus de biens sociaux.

Le 11 mars 1993, Michel Gagneux cita les requérants à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris afin de les voir condamner pour délit de publication d'informations relatives à des constitutions de partie civile, délit prévu et réprimé par l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931. Michel Gagneux s'estimait victime d'une infraction à cette disposition du fait des passages suivants contenus dans l'article publié dans L’Événement du Jeudi :

« Sonacotra : quand la gauche fait le ménage à gauche. Du jamais vu ! Les dirigeants d'une société publique dénoncent la gestion de leurs prédécesseurs. Et portent plainte ! »

« Échec à la raison d’État ! En provoquant une plainte pour abus de confiance et de biens sociaux contre leur prédécesseur Michel Gagneux, les dirigeants de la Sonacotra ont fait acte de courage. Ils savent bien que le risque est grand de découvrir que des hommes liés au PS [parti socialise] ont pu prendre leurs aises avec 'l'argent des émigrés' »

Par jugement du 9 juillet 1993, le tribunal correctionnel de Paris reconnut la culpabilité des requérants et les condamna chacun à une peine de 3 000 FRF d'amende. Cette condamnation était assortie du versement de dommages et intérêts sur l'action civile de M. Gagneux et de la publication judiciaire du jugement.

Le tribunal releva que l'interdiction prévue à l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 est générale et absolue ; il suffit que l'information se rapporte à une plainte avec constitution de partie civile.

Le tribunal indiqua que l'interdiction visait à garantir la présomption d'innocence et à prévenir toute influence extérieure sur le cours de la justice. Il en conclut qu'elle était nécessaire, dans une société démocratique, à la « protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles, ou pour garantir l'autorité ou l'impartialité du pouvoir judiciaire » au sens de l'article 10 de la Convention.

Le 16 juillet 1993, les requérants interjetèrent appel dudit jugement.

Par arrêt du 2 février 1994, la cour d'appel de Paris confirma le principe de la culpabilité des requérants et le montant de la peine d'amende, et réduisit à la somme de un franc les dommages et intérêts dus à Michel Gagneux, partie civile. La cour d’appel affirma notamment que :

« Les premiers juges ont à juste titre écarté l’argumentation proposée par la défense et prise d’une prétendue incompatibilité entre l’article 10 [de la Convention] et la loi du 2 juillet 1931, en relevant que les dispositions de cette loi, qui tendent à protéger les personnes faisant l’objet d’une plainte, à garantir la présomption d’innocence et à prévenir toute influence sur la justice, s’inscrivent dans le cadre des restrictions à la liberté d’expression autorisées par la Convention (...), cette restriction étant proportionnée au but recherché (...) »

Le requérants se pourvurent alors en cassation.

Au soutien de leur pourvoi en cassation, les requérants invoquaient, comme devant les juges du fond, la violation de l'article 10 de la Convention. Ils se référaient au caractère général et absolu de l'interdiction de publication qu'ils estimaient disproportionnée à l'objectif poursuivi.

Par arrêt du 19 mars 1996, la Cour de cassation déclara l'action publique éteinte du fait de l'intervention d'une loi d'amnistie ; elle rejeta le pourvoi sur l'action civile dont elle s'estima encore saisie. Elle s'exprima notamment comme suit :

« La cour d’appel a rejeté à bon droit l’argumentation des prévenus prise de l’incompatibilité de la loi du 2 juillet 1931 avec l’article 10 de la Convention.

Si l'article 10 de la Convention susvisé reconnaît en son premier paragraphe à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit en son second paragraphe que l'exercice de cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent dans une société démocratique, des mesures nécessaires notamment à la protection des droits d'autrui, ainsi qu'à la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire ; (...) tel est l'objet, proportionné au but recherché, de l'article 2 de la loi précitée (...) »


B. Droit interne pertinent

a. Article 2 de la loi du 2 juillet 1931

« Il est interdit de publier, avant décision judiciaire, toute information relative à des constitutions de partie civile faites en application de l'article 63 du Code d'instruction criminelle (Code de procédure pénale article 85), sous peine d'une amende de 120 000 FRF édictée par le dernier alinéa de l'article 39 de la loi du 29 juillet 1881. »

b. Article 9-1 du Code civil

« Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence.

Lorsqu’une personne (...) faisant l’objet (...) d’une plainte avec constitution de partie civile est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable des faits faisant l’objet de l’enquête ou de l’instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, ordonner l’insertion dans la publication concernée d’un communiqué aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence (...) »

c. Article 11 du Code de procédure pénale

« Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète (...) »

d. Article 91 du Code de procédure pénale

« Quand, après une information ouverte sur constitution de partie civile, une décision de non-lieu a été rendue, le ministère public peut citer la partie civile devant le tribunal correctionnel où l’affaire a été instruite. Dans le cas où la constitution de partie civile est jugée abusive ou dilatoire, le tribunal peut prononcer une amende civile dont le montant ne saurait excéder 100 000 FRF. L’action doit être introduite dans les trois mois du jour où l’ordonnance de non-lieu est devenue définitive.

Dans le même délai, la personne mise en examen ou toute autre personne visée dans la plainte, sans préjudice d’une poursuite pour dénonciation calomnieuse, peut, si elle n’use de la voie civile, demander des dommages et intérêts au plaignant (...) »

GRIEF

Invoquant l’article 10 de la Convention, les requérants affirment que leur condamnation porte atteinte à leur droit à la liberté d’expression.

PROCÉDURE

La requête a été introduite le 13 septembre 1996 et enregistrée le 29 novembre 1996.

Le 22 octobre 1997, la Commission européenne des Droits de l’Homme a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en l’invitant à présenter par écrit ses observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.

Le Gouvernement a présenté ses observations le 10 février 1998 et les requérants y ont répondu le 2 avril 1998.

A compter du 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention, et en vertu de l'article 5 § 2 de celui-ci, la requête est examinée par la Cour conformément aux dispositions dudit Protocole.

EN DROIT

Les requérants allèguent que leur condamnation a entraîné une violation de larticle 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté dexpression. Ce droit comprend la liberté dopinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans quil puisse y avoir ingérence dautorités publiques et sans considération de frontière (...)

2. Lexercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à lintégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de lordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits dautrui, pour empêcher la divulgation dinformations confidentielles ou pour garantir lautorité et limpartialité du pouvoir judiciaire. »

Le Gouvernement ne conteste pas que la condamnation des requérants constitue une « ingérence » dans l’exercice de leur liberté d’expression ; il considère toutefois que leur grief soulevé au titre de l’article 10 de la Convention est dénué de fondement.

Tout d’abord, le Gouvernement affirme que l’ingérence était prévue par la loi, à savoir l’article 2 de la loi du 2 juillet 1931, et avait pour but de protéger la réputation et les droits d’autrui et de garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Quant à la nécessité de l’ingérence litigieuse, le Gouvernement rappelle, à titre liminaire, que la Cour a estimé qu’un mécanisme de restriction préalable ou d’interdiction de publication ne peut être considéré ipso facto comme incompatible avec l’article 10 de la Convention. Le Gouvernement se réfère à cet égard à l’arrêt Observer et Guardian c. Royaume-Uni du 26 novembre 1991 (Série A n° 216, p. 30, § 60). Par ailleurs, le Gouvernement prétend que l’ingérence litigieuse était également nécessaire pour garantir l’impartialité et l’équité de la procédure, tout en préservant la présomption d’innocence. En effet, la loi de 1931 ne fait que traduire cette exigence de respect de la présomption d’innocence, en la renforçant spécialement pour les plaintes avec constitution de partie civile en raison du risque qu’une utilisation non justifiée de cette procédure peut entraîner.

Le Gouvernement ajoute qu’il n’existait pas d’autres mécanismes protecteurs des droits de M. Gagneux qui rendraient non nécessaire l’interdiction prévue par la loi de 1931. Le Gouvernement précise à cet égard que les autres instruments de protection des personnes mises en cause dans des affaires judiciaires ne visent pas le même but que la loi en question. L’article 9-1 du Code civil protège au plan civil la présomption d’innocence ; or, par définition, seule la personne mise en examen peut exciper de cette disposition, qui ne constitue qu’une forme de droit de réponse. Quant à l’action engagée sur le fondement de l’article 91 du Code de procédure pénale, elle ne sanctionne qu’à posteriori un abus du droit d’ester en justice, par une constitution de partie civile abusive ou dilatoire.

Enfin, le Gouvernement souligne que l’interdiction de publication prévue par la loi de 1931, si elle présente un caractère impératif pendant la durée de l’instruction, n’est jamais que temporaire et cesse dès l’intervention d’une décision judiciaire. Le droit à l’information est donc simplement différé dans le temps et retardé dans ses effets, afin de laisser à la justice la possibilité de s’assurer du caractère sérieux de la plainte déposée.

Les requérants répondent que la loi de 1931 interdit purement et simplement la publication de toutes informations concernant les procédures ouvertes sur constitution de partie civile, que ces informations soient ou non préjudiciables. Ils rappellent que la protection du secret de l’instruction par l’article 11 du Code de procédure pénale s’applique à toutes les procédures ; il n’y a donc aucune raison légitime pour renforcer le secret et le considérer comme absolu dans certaines procédures pénales.

Les requérants ajoutent que le secret absolu imposé par la loi en question n’est aucunement destiné à protéger la présomption d’innocence. Une telle position reviendrait, selon les requérants, à faire à la presse un véritable procès d’intention. Lorsque la presse communique des informations ou des idées sur des affaires d’intérêt public, il s’agit pour elle de faire la lumière sur une affaire et non pas spécialement de désigner des coupables à la vindicte populaire. Or les requérants considèrent qu’il n’y a aucune raison de renforcer la protection prévue par l’article 9-1 du Code civil français pour les procédures ouvertes sur constitution de partie civile. Les requérants concluent que le fait d’imposer à la presse un secret absolu est manifestement incompatible avec la bonne information du public dans une société démocratique.

La Cour a procédé à un examen préliminaire des thèses développées par les parties. Elle estime que celles-ci soulèvent des problèmes de fait et de droit qui ne sauraient être résolus à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond.

Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. En outre, la Cour constate que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE LA REQUÊTE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.

S. Dollé N. Bratza

Greffière Président