Přehled
Rozhodnutí
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 31477/96
présentée par Jose Ramón LOPEZ-FANDO RAYNAUD et
Eduardo PARDO UNANUA
contre l'Espagne
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 15 janvier 1997 en présence
de
Mme G.H. THUNE, Présidente
MM. J.-C. GEUS
G. JÖRUNDSSON
A. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
F. MARTINEZ
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
P. LORENZEN
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 13 mai 1996 par Jose Ramón LOPEZ-
FANDO RAYNAUD et Eduardo PARDO UNANUA contre l'Espagne et enregistrée
le 14 mai 1996 sous le N° de dossier 31477/96 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, respectivement nés en 1935 et en 1920, sont des
magistrats espagnols. Devant la Commission, ils sont représentés par
Maître Francisco Molina Horcajada, avocat au barreau de Madrid.
Les faits, tels que présentés par les requérants, peuvent se
résumer comme suit :
Dans le cadre d'un litige concernant l'éventuelle incompatibilité
pour un agent de la fonction publique d'occuper deux postes dans
l'administration, le tribunal central du travail, juridiction où
siégeaient les requérants en tant que magistrats, décida le
18 septembre 1986 de saisir le Tribunal constitutionnel d'une question
préjudicielle d'inconstitutionnalité au sujet de la loi 53/84 du
26 décembre 1984 sur les incompatibilités dans la fonction publique.
Le 10 octobre 1986, le journal "El País" publia deux articles
exprimant de fortes critiques à l'encontre du tribunal central de
travail. Dans l'un des articles, intitulé "un tribunal contre
l'histoire", il était notamment écrit que le tribunal central du
travail s'était "distingué pendant la période franquiste par son
conservatisme face à la lutte des travailleurs pour la conquête de
leurs droits syndicaux" et le considérait comme un organe
anticonstitutionnel allant à l'encontre de l'unité juridictionnelle
proclamée par la Constitution. Suivait une critique de la décision du
tribunal de saisir le Tribunal constitutionnel d'un recours préjudiciel
d'inconstitutionnalité. Le deuxième article, où les deux requérants
étaient cités nommément, indiquait que "dans le milieu des avocats
spécialisés en matière de droit du travail "laboralistas", (les
requérants) étaient considérés comme ayant des liens avec les milieux
de l'extrême droite". Le 29 octobre 1986, le tribunal central du
travail déposa une plainte pénale pour le cas où les propos tenus par
le journal étaient constitutifs d'un délit. Par décision du juge
d'instruction N° 12 de Madrid, en date du 2 décembre 1986, la plainte
fut classée sans suite.
Au mois d'avril 1987, les requérants en tant que membres
directement mis en cause par le journal présentèrent une action civile
pour atteinte à leur honneur à l'encontre du directeur du journal "El
País", à l'encontre d'un journaliste et subsidiairement contre
l'éditeur du journal. Par décision du 27 juillet 1989, le tribunal de
première instance N° 26 de Madrid accueillit favorablement l'action des
requérants et condamna les défendeurs au versement de deux millions de
pesetas à chacun des requérants à titre de dommages-intérêts ainsi qu'à
la publication de la condamnation dans plusieurs journaux de Madrid,
notamment "El País".
Sur appel des condamnés, l'Audiencia provincial de Madrid, par
décision rendue le 24 décembre 1990, infirma le jugement entrepris et
débouta les requérants.
Les requérants se pourvurent en cassation auprès du Tribunal
suprême. Par arrêt du 20 mai 1994, le Tribunal suprême cassa le
jugement d'appel et fit sienne la décision de première instance
condamnant les journalistes pour atteinte à l'honneur des requérants.
Les journalistes formèrent un recours d'"amparo" auprès du
Tribunal constitutionnel, en alléguant la violation des droits à la
liberté d'opinion, d'expression et d'information garantis par les
articles 16 et 20 de la Constitution espagnole. Par arrêt rendu le
21 novembre 1995, la haute juridiction accueillit favorablement le
recours d'"amparo" des journalistes et annula l'arrêt du Tribunal
suprême. Dans son arrêt, le Tribunal constitutionnel, après avoir
pondéré les intérêts en jeu et rappelé notamment l'importance de la
liberté d'expression et de la liberté d'information dans une société
démocratique, estima qu'en dépit du caractère sévère des critiques
émises par les journalistes à l'encontre du tribunal central du travail
et des requérants eux-mêmes, ces critiques n'avaient pas outrepassé les
limites constitutionnellement protégées par les libertés d'expression
et d'information, dès lors qu'elles ne pouvaient être considérées ni
comme injurieuses à l'égard des requérants, ni comme portant accusation
de corruption.
GRIEF
Les requérants se plaignent que le Tribunal constitutionnel a
failli à son obligation de protéger leur droit au respect de leur
honneur. Ils font valoir qu'il n'a pas fait application des
restrictions à la liberté d'expression, prévues à l'article 10 par. 2
de la Convention.
EN DROIT
Les requérants se plaignent en substance que par sa décision en
date du 21 novembre 1995, le Tribunal constitutionnel n'a pas protégé
leur droit au respect de leur honneur et de leur bonne réputation. Ils
invoquent le paragraphe 2 de l'article 10 (art. 10-2) de la Convention.
L'article 10 (art. 10) est ainsi libellé :
"1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce
droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de
recevoir ou de communiquer des informations ou des idées
sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques
et sans considération de frontière. Le présent article
n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de
radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime
d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et
des responsabilités peut être soumis à certaines
formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues
par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans
une société démocratique, à la sécurité nationale, à
l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la
défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la
protection de la santé ou de la morale, à la protection de
la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la
divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir
l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire."
La Commission note que la publication des articles de presse
concernés échappait à tout contrôle des autorités espagnoles et que
l'Etat défendeur n'est donc nullement responsable du contenu des
articles en question.
Toutefois, et ainsi que la Cour européenne des Droits de l'Homme
l'a affirmé dans l'affaire Irlande c. Royaume-Uni (Cour eur. D.H. arrêt
du 18 janvier 1978, série A n° 25, par. 239), la Convention ne se
contente pas d'astreindre les autorités des Etats contractants à
respecter elles-mêmes les droits et libertés qu'elle consacre ; elle
implique aussi qu'il leur faut, pour en assurer la jouissance, empêcher
ou corriger la violation. L'obligation d'assurer un exercice efficace
des droits énoncés par la Convention peut donc comporter pour un Etat
des obligations positives dans un certain nombre de domaines, et ces
obligations peuvent impliquer l'adoption de mesures, même en ce qui
concerne les relations d'individus entre eux.
Une obligation de ce genre existe, par exemple en ce qui concerne
le respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8
(art. 8) de la Convention (voir, entre autres, Cour eur. D.H., arrêts
X. et Y. c. Pays-Bas du 26 mars 1985, série A n° 91, par. 23 ; Lopez
Ostra c. Espagne du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, p. 54-55, par.
51-55). Toutefois, lorsque la publication par les mass media d'un
article pose un problème d'ingérence dans la vie privée, l'Etat doit
trouver un équilibre judicieux entre, d'une part, le droit au respect
de la vie privée garanti par l'article 8 (art. 8), et, d'autre part,
le droit à liberté d'expression et d'information garanti par l'article
10 (art. 10) de la Convention.
En l'espèce, la Commission note que les articles de presse
litigieux portaient sur une décision pouvant mettre en cause la
constitutionnalité d'une loi établissant certaines incompatibilités
dans la fonction publique. Ils traitaient donc d'un sujet offrant un
intérêt pour le public, comme le prouve le fait que plusieurs autres
journaux ont également abordé la question. Il est vrai que les
requérants sont cités nommément en tant que juges faisant partie de la
chambre du tribunal central du travail ayant décidé la saisine du
Tribunal constitutionnel et que des propos d'une certaine sévérité sont
tenus à leur égard. Toutefois, la Commission estime que ces propos,
même s'ils peuvent paraître blessants ou choquants, s'inscrivent dans
le cadre de la critique journalistique et ne sauraient être considérés
comme atteignant un degré tel qu'ils puissent porter atteinte au droit
au respect de la vie privée des requérants (cf. N° 19983/92, Léo de
Haes et Hugo Gijsels c. Belgique, rapport Comm. 29.11.95, par. 63, à
paraître dans Recueil des arrêts et décisions, 1997).
La Commission considère donc que rien ne permet de penser que
dans la confrontation des intérêts en jeu, le Tribunal constitutionnel
ait insuffisamment tenu compte des droits que l'article 8 (art. 8)
garantit au requérant. Le fait que les requérants n'ont pas obtenu gain
de cause ne signifie pas que l'Etat défendeur a manqué à son
obligation d'assurer une protection adéquate des droits des requérants
au sens de l'article 8 (art. 8) de la Convention (N° 11366/85,
déc. 16.10.86, D.R. 50, p. 173).
La Commission estime donc que la requête est manifestement mal
fondée, au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
M.-T. SCHOEPFER G.H. THUNE
Secrétaire Présidente
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre