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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
17.1.1996
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí



SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête N° 23293/94

présentée par Pierre CARRARA, Jean-Paul ANTONSANTI

et Angèle PIETROTTI

contre la France

__________

La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 17 janvier 1996 en présence

de

M. H. DANELIUS, Président

Mme G.H. THUNE

MM. G. JÖRUNDSSON

J.-C. SOYER

H.G. SCHERMERS

F. MARTINEZ

L. LOUCAIDES

J.-C. GEUS

M.A. NOWICKI

I. CABRAL BARRETO

J. MUCHA

D. SVÁBY

P. LORENZEN

Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;

Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 17 septembre 1993 par Pierre CARRARA,

Jean-Paul ANTONSANTI et Angèle PIETROTTI contre la France et

enregistrée le 21 janvier 1994 sous le N° de dossier 23293/94 ;

Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de

la Commission ;

Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

6 septembre 1995 et les observations en réponse présentées par les

requérants le 3 novembre 1995 ;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le premier requérant, né en 1944, est électricien. Le deuxième

requérant, né en 1926, est retraité. Il était le maire sortant de la

commune de Centuri en 1984. La requérante, née en 1950, était employée

des Postes et premier adjoint au maire. Ils sont de nationalité

française et résident en Haute-Corse. Dans la procédure devant la

Commission, ils sont représentés par Maître M.-J. Bellagamba, avocate

au barreau de Bastia.

Les faits, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent

se résumer comme suit.

A. Circonstances particulières de l'affaire

A l'occasion des élections municipales de mars 1989 en Corse, le

tribunal d'instance de Bastia rendit, le 7 mars 1989, un jugement

radiant seize personnes de la liste électorale de la commune de

Centuri. Les 10 et 11 mars 1989, deux gendarmes tentèrent de joindre

le deuxième requérant, maire sortant de la commune, ou la requérante,

premier adjoint au maire, afin de notifier ce jugement, sans succès.

Les gendarmes se présentèrent le 12 mars 1989, jour du scrutin, au

bureau de vote où, en l'absence du maire, deuxième requérant, le

deuxième adjoint au maire et le premier requérant, secrétaire du bureau

de vote et également candidat à l'élection, refusèrent de prendre

connaissance de la décision en se fondant sur le fait que la

notification était adressée au maire. Le premier requérant pria alors

les gendarmes de sortir du bureau de vote, mais conteste l'avoir fait

avec violence.

La décision de radiation n'ayant pas pu être notifiée aux

personnes concernées, les électeurs radiés furent admis au scrutin. A

l'issue des élections, le premier requérant fut élu maire.

Suite à des plaintes d'une candidate de la liste adverse et du

préfet de Haute-Corse pour fraudes électorales, le tribunal

administratif de Bastia, par jugement du 26 mai 1989, annula les

élections et suspendit le mandat des candidats proclamés élus. Le

15 septembre 1989, le Conseil d'Etat confirma ce jugement.

Le 12 octobre 1989, des réquisitions aux fins d'inculpation

furent prises. Les requérants, inculpés le 8 janvier et le 5 mai 1990

respectivement, furent renvoyés devant le tribunal correctionnel de

Bastia le 7 avril 1992 pour avoir porté atteinte à la sincérité du

scrutin par des manoeuvres frauduleuses.

Le 17 novembre 1992, le tribunal les condamna respectivement à

10.000 F, 5.000 F et 2.000 F d'amende ainsi qu'à l'interdiction

d'exercer leurs droits civiques pendant trois ans pour les deux

premiers requérants et pendant un an pour la requérante.

Par arrêt du 31 mars 1993, la cour d'appel de Bastia confirma ce

jugement en toutes ses dispositions pénales et civiles.

Le même jour, les requérants déclarèrent se pourvoir en

cassation. Le dossier fut transmis le 5 avril 1993 par la cour d'appel

de Bastia à la Cour de cassation. Par arrêt du 17 mai 1993, la Cour de

cassation, en son audience publique, rejeta, après avoir connu les

conclusions de l'avocat général présentées au cours de l'audience, le

pourvoi des requérants au motif qu'aucun moyen n'était produit à

l'appui du pourvoi.

B. Droit interne pertinent

Article 584 du Code de procédure pénale

"Le demandeur en cassation, soit en faisant sa déclaration, soit

dans les dix jours suivants, peut déposer, au greffe de la

juridiction qui a rendu la décision attaquée, un mémoire, signé

par lui, contenant ses moyens de cassation. Le greffier lui en

délivre reçu."

Article 585 du Code de procédure pénale

"Après l'expiration de ce délai, le demandeur condamné pénalement

peut transmettre son mémoire directement au greffe de la Cour de

cassation ; (...)"

Article 586 du Code de procédure pénale

"Sous peine d'une amende civile de 50 F prononcée par la Cour de

cassation, le greffier, dans un délai maximum de vingt jours à

dater de la déclaration de pourvoi, cote et paraphe les pièces

du dossier, auquel il joint une expédition de la décision

attaquée, une expédition de l'acte de pourvoi et, s'il y a lieu,

le mémoire du demandeur. (...)"

Article 588 du Code de procédure pénale

"Si un ou plusieurs avocats se sont constitués, le conseiller

rapporteur fixe un délai pour le dépôt des mémoires entre les

mains du greffier de la chambre criminelle."

Article 604 du Code de procédure pénale

"La Cour de cassation, en toute affaire criminelle,

correctionnelle ou de police, peut statuer sur le pourvoi

aussitôt après l'expiration d'un délai de dix jours à compter de

la réception du dossier à la Cour de cassation. (...)"

GRIEFS

1. Les requérants se plaignent de ce que la Cour de cassation a

statué sur leur pourvoi dès le 17 mai 1993, sans les avoir informés des

délais impartis et sans respecter leur droit à disposer du temps et des

facilités nécessaires à la préparation de leur défense, en violation

du principe du contradictoire. Ils allèguent à cet égard la violation

de l'article 6 par. 3 b) et c) de la Convention.

2. Ils se plaignent de ce que les réquisitions du parquet ne leur

ont pas été communiquées et que le principe de l'égalité des armes,

garanti par l'article 6 par. 3 de la Convention, n'a, dès lors, pas été

respecté.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

La requête a été introduite le 17 septembre 1993 et enregistrée

le 21 janvier 1994.

Le 24 février 1995, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé de

porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur, en

l'invitant à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité

et le bien-fondé des griefs tirés de l'article 6 par. 3 de la

Convention. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.

Le Gouvernement a présenté ses observations le 6 septembre 1995,

après prorogation du délai imparti, et les requérants y ont répondu le

3 novembre 1995.

EN DROIT

1. Les requérants se plaignent de ce que la Cour de cassation a

statué sur leur pourvoi dès le 17 mai 1993, sans les avoir informés des

délais impartis, en violation de l'article 6 par. 3 b) et c)

(art. 6-3-b, 6-3-c) de la Convention.

La Commission rappelle que les garanties spécifiques énoncées à

l'article 6 par. 3 (art. 6-3) de la Convention illustrent la notion de

procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la

Convention à l'égard de situations procédurales typiques, mais leur but

intrinsèque est toujours d'assurer ou de contribuer à l'équité de la

procédure pénale dans son ensemble (cf. Can c/Autriche, rapport Comm.

12.7.84, par. 48, Cour eur. D.H., série A no 96, p. 15). La Commission

examinera donc les griefs des requérants sous l'angle de ces deux

dispositions combinées, qui disposent notamment :

"1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

équitablement (...), par un tribunal indépendant et impartial;

établie par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute

accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

b. disposer du temps et des facilités nécessaires à la

préparation de sa défense ;

c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur

de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un

défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat

d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent."

Le Gouvernement défendeur estime que le grief est manifestement

mal fondé.

Il expose tout d'abord le système instauré par le Code de

procédure pénale et souligne que le condamné pénalement qui n'est pas

assisté d'un avocat aux conseils peut déposer son mémoire jusqu'à

l'audience, ce qui lui est favorable, alors que s'agissant du demandeur

au pourvoi qui a constitué avocat, un délai est fixé par le conseiller

rapporteur pour le dépôt des mémoires (article 588 du Code de procédure

pénale). De ce point de vue, un justiciable, s'abstenant de demander

l'assistance d'un avocat aux conseils, s'expose à des risques certains.

Le Gouvernement indique également que l'article 604 du Code de

procédure pénale prévoit que la Cour de cassation peut statuer sur le

pourvoi après expiration d'un délai de dix jours à compter de la

réception du dossier à la Cour de cassation.

En l'espèce, le Gouvernement observe que les requérants,

assistés, en fait, par l'avocate qui les avait représentés dans la

procédure antérieure, ont eu la possibilité de déposer leur mémoire

ampliatif jusqu'à l'audience. Par ailleurs, ils étaient parfaitement

en mesure de s'informer eux-mêmes auprès du greffe de la Cour de

cassation de la date à laquelle le dossier était parvenu auprès de

cette juridiction, puis de la date d'audience et plus généralement de

l'état d'avancement de la procédure concernant leur pourvoi. En effet,

un fonctionnaire du greffe de la chambre criminelle de la Cour de

cassation est chargé de répondre au téléphone à tout avocat ou

justiciable souhaitant se renseigner sur le cours d'une procédure le

concernant.

Le Gouvernement conclut que les requérants, après avoir formé un

pourvoi en cassation dans les délais légaux, se sont totalement

désintéressés de la procédure devant la Cour de cassation. Ils n'ont

jamais essayé d'obtenir des renseignements sur la procédure à suivre

ou sur l'état d'avancement de leur pourvoi.

Les requérants font tout d'abord observer qu'ils ont déclaré se

pourvoir en cassation le même jour que la cour d'appel a rendu son

arrêt. Ils soutiennent en outre que le respect de l'article 6 par. 3

b) et c) (art. 6-3-b, 6-3-c) de la Convention appelait, de la part des

autorités judiciaires françaises, des mesures positives destinées à les

informer d'un délai de dix jours pour déposer leur mémoire au greffe

de la Cour de cassation, tout au moins, de la date de l'audience, sans

quoi ils n'étaient pas mis en mesure d'assurer leur défense.

Ils soulignent également l'existence d'une discrimination entre,

d'une part, le demandeur condamné pénalement représenté par un avocat

aux conseils, lequel est informé de l'avancement de la procédure devant

la Cour de cassation et dispose d'un délai fixé par le conseiller

rapporteur pour le dépôt d'un mémoire au soutien du pourvoi et, d'autre

part, le demandeur non assisté d'un avocat pour qui aucun délai n'est

imparti et qui peut donc déposer son mémoire jusqu'à l'audience. Ils

affirment que, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, cette

absence de délai ne leur est aucunement favorable et a pour effet de

laisser juger leur cause à l'insu du principal intéressé.

Ayant examiné l'argumentation des parties, la Commission estime

que ce grief pose des problèmes de fait et de droit qui ne peuvent être

résolus à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un

examen au fond. Dès lors, il ne saurait être déclaré manifestement mal

fondé, en application de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la

Convention.

2. Les requérants allèguent encore la violation du principe de

l'égalité des armes, garanti par l'article 6 par. 3 (art. 6-3) de la

Convention, dans la mesure où la Cour de cassation a statué sans leur

avoir communiqué les conclusions du ministère public.

Là encore, la Commission tient à souligner que les garanties

spécifiques énoncées à l'article 6 par. 3 (art. 6-3) de la Convention

illustrent la notion de procès équitable au sens de l'article 6 par.

1 (art. 6-1) de la Convention à l'égard de situations procédurales

typiques, mais leur but intrinsèque est toujours d'assurer ou de

contribuer à l'équité de la procédure pénale dans son ensemble (cf.

l'affaire Can c/Autriche susmentionnée). La Commission examinera donc

les griefs des requérants sous l'angle de ces deux dispositions

combinées.

Le Gouvernement défendeur considère que le grief est

manifestement mal fondé. Il soutient tout d'abord que le pourvoi en

cassation est une voie de recours extraordinaire. La Cour de cassation

n'examinant que des questions de droit, ne peut connaître du fond des

affaires qui lui sont déférées.

Il note que le ministère public, partie poursuivante devant les

juges du fond, n'exerce en aucun cas l'action publique devant la

chambre criminelle de la Cour de cassation. Le rôle du parquet général

de la Cour de cassation est de conclure en toute indépendance sur les

questions juridiques posées par le recours. En conséquence, pour le

Gouvernement, le fait que les conclusions de l'avocat général n'ont pas

été transmises aux requérants, ne saurait enfreindre l'article 6 par. 3

(art. 6-3) de la Convention dans la mesure où l'avocat général n'est

pas l'adversaire du demandeur au pourvoi.

Le Gouvernement souligne par ailleurs que les conclusions de

l'avocat général sont orales et présentées à l'audience. Les

requérants, s'ils n'ont pas été représentés par un avocat aux conseils,

ont pu demander à être entendus par la chambre et saisir la possibilité

de répondre aux conclusions orales de l'avocat général. Or les

requérants n'ont fait aucune demande pour être entendus à l'audience.

Le Gouvernement note enfin qu'en tout état de cause, les

requérants, n'ayant déposé aucun mémoire ampliatif, les réquisitions

du ministère public ne pouvaient comporter par définition aucune

analyse critique des moyens de cassation.

Les requérants, quant à eux, maintiennent leurs conclusions

exposées dans la requête introductive.

Ayant examiné l'argumentation des parties, la Commission estime

que ce grief pose aussi des problèmes de fait et de droit qui ne

peuvent être résolus à ce stade de l'examen de la requête, mais

nécessitent un examen au fond. Dès lors, il ne saurait être déclaré

manifestement mal fondé, en application de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

La Commission constate en outre que le restant de la requête ne

se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond

réservés.

Le Secrétaire de la Le Président de la

Deuxième Chambre Deuxième Chambre

(M.-T. SCHOEPFER) (H. DANELIUS)