Přehled
Rozhodnutí
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 20527/92
présentée par Jean-Pierre-René Walter WIDMER
contre la Suisse
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 10 février 1993 en présence
de
MM. G. JÖRUNDSSON, Président en exercice
de la Deuxième Chambre
S. TRECHSEL
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H. G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G. H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
J.-C. GEUS
M. K. ROGGE, Secrétaire de la Deuxième Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 13 août 1992 par Jean-Pierre-René-
Walter WIDMER contre la Suisse et enregistrée le 24 août 1992 sous le
No de dossier 20527/92 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, de nationalité suisse, né en 1941, est domicilié
à Gorgier (canton de Neuchâtel).
Devant la Commission, il est représenté par Me Luc Jacopin,
avocat au barreau de Neuchâtel.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par le
requérant, peuvent se résumer ainsi.
Le 21 décembre 1990, le requérant déposa plainte pénale contre
le personnel soignant d'un hôpital de Gorgier pour ce qu'il considérait
"comme un cas d'euthanasie" sur la personne de son père, alors âgé de
82 ans et décédé dans la nuit du 23 au 24 novembre 1990 dans cet
établissement.
Après enquête de police et enquête administrative menée par le
médécin cantonal, le procureur général du canton de Neuchâtel ordonna
par décision du 2 avril 1991 le classement de la plainte pour
insuffisance de charges. Après avoir rappelé l'évolution générale de
la maladie de Parkinson dont souffrait le défunt, le procureur général
releva que l'enquête n'avait apporté aucun indice d'euthanasie passive
ou active, et que les mesures prises avaient été au contraire
appropriées, même si elles n'avaient pas donné de résultat positif.
Par arrêt du 27 août 1991, la chambre d'accusation du canton de
Neuchâtel rejeta le recours du requérant contre cette ordonnance de
classement.
Elle releva que l'euthanasie passive sur la personne de son père
dont le requérant se plaignait ne pouvait être poursuivi pénalement que
si le comportement du personnel médical incriminé remplissait les
éléments constitutifs de l'homicide par négligence (article 117 du code
pénal), soit le fait d'avoir causé la mort d'une personne par une
imprévoyance coupable en n'usant pas des précautions commandées par les
circonstances ou par la situation personnelle de l'auteur (article 18
alinéa 3 du code pénal). Considérant qu'au vu des seuls faits visés
par la plainte du requérant et infirmés par l'enquête préalable, la
chambre d'accusation estima qu'il était quasi certain que l'action
pénale aurait abouti à un non-lieu et que la décision de classement
n'était dès lors pas contraire à la loi.
Le requérant forma un recours de droit public contre cet arrêt.
Il se plaignit d'arbitraire et d'une mauvaise appréciation des preuves
par la chambre d'accusation.
Par arrêt du 14 février 1992, le Tribunal fédéral déclara le
recours irrecevable. Il considéra qu'il n'était pas nécessaire de
rechercher si le recours avait été formé en temps utile et répondait
aux exigences de motivation. Selon une jurisprudence constante, en
dehors du cas non réalisé en l'occurrence d'une violation de ses droits
de procédure, le plaignant n'avait pas qualité pour se plaindre d'une
décision pénale de classement, de non-lieu ou d'acquittement, car le
droit d'infliger une sanction pénale à un délinquant n'appartenait qu'à
l'Etat sans que la législation protégeât l'intérêt du plaignant à
obtenir le prononcé d'une telle peine.
GRIEFS
Le requérant se plaint de la violation des articles 2, 8 et 13
de la Convention.
1. Il fait valoir que le droit de feu son père a été violé par le
fait que le droit suisse ne permet pas de faire juger de manière
satisfaisante les cas d'euthanasie passive. L'article 2 de la
Convention contraindrait le législateur national à protéger la vie,
notamment en édictant des prescriptions pénales réprimant les atteintes
à la vie perpétrées par des personnes privées. Il y aurait de nombreux
cas où par euthanasie passive, une personne sera décédée, alors que des
soins normaux eussent pu la sauver sans que cela ne soit constitutif
d'homicide par négligence.
Il y aurait donc dans ces cas atteinte à la vie d'une personne,
sans que cette atteinte ne soit sanctionnée pénalement.
Le requérant fait en outre valoir que le droit à la vie de feu
son père a également été violé par le fait que le droit suisse ne
reconnaît pas expressis verbis le caractère punissable d'une euthanasie
passive accomplie sur un patient qui n'a pas consenti par écrit de
manière claire et lucide à celle-ci. En effet, ce serait ainsi
permettre au personnel soignant de décider de la vie ou de la mort
d'une personne sur le décès de laquelle des traitements et soins
appropriés risquent de n'avoir que des effets retardateurs.
Or, le défunt n'avait pas consenti par écrit à une euthanasie
passive.
Enfin, il y aurait violation du droit à la vie de feu son père
par le fait que les autorités suisses auraient mal appliqué le droit
suisse tel qu'il existe. La décision de classement du ministère public
était fondée notamment sur des déclarations des personnes impliquées,
soit les médecins et les infirmières, sans qu'aucune vérification n'ait
été apportée à la véracité de ses dires.
2. Le requérant fait en outre valoir que la carence du droit suisse
de ne pas permettre de faire juger d'une manière satisfaisante les cas
d'euthanasie passive constitue également une violation de l'article 8
de la Convention. Une euthanasie passive serait une atteinte illicite
à la sphère privée d'une personne, si elle ne respecte pas la volonté
clairement exprimée de celle-ci. De plus, le fait que le droit suisse
ne permet pas à un proche d'une personne décédée de protéger l'intérêt
de celle-ci à la condamnation pénale des personnes soupçonnées
d'euthanasie, constituerait une violation du droit du requérant à la
protection de ses liens familiaux.
3. Enfin, le requérant se plaint de la violation du droit à un
recours efficace en ce qu'il ne pouvait faire valoir devant les
autorités suisses la violation de la Convention qui résiderait dans la
carence législative incriminée.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint que l'euthanasie passive dont son père
aurait été victime ne fait pas l'objet d'une incrimination spécifique
du Code pénal suisse et que sa plainte pénale a été classée pour
insuffisance de charge. Il allègue la violation de l'article 2
(art. 2) de la Convention.
L'article 2 par. 1 (art. 2-1) de la Convention stipule que "le
droit de toute personne à la vie est protégé par la loi" et que "la
mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement".
La Commission rappelle que la première phrase de l'article 2
(art. 2) impose à l'Etat une obligation plus large que celle que
contient la deuxième phrase.
L'idée que "le droit de toute personne à la vie est protégé par
la loi" enjoint à l'Etat non seulement de s'abstenir de donner la mort
"intentionnellement", mais aussi de prendre les mesures adéquates à la
protection de la vie (cf. No 7154/75, déc. 12.7.78, D.R. 14 p. 31 ;
No 9348/81, déc. 28.2.83, D.R. 32 p. 190).
La Commission note que le Code pénal suisse punit les atteintes
à la vie, notamment dans les cas où le comportement d'une personne
remplit les éléments constitutifs de l'homicide par négligence, soit
le fait d'avoir causé la mort d'une personne par une imprévoyance
coupable en n'usant pas des précautions commandées par les
circonstances ou par la situation personnelle de l'auteur. La
Commission estime que cette protection accordée par la loi est
suffisante pour permettre de dire que l'Etat défendeur a satisfait à
l'obligation de protéger la vie, que lui impose l'article 2 (art. 2)
de la Convention. Le législateur suisse ne saurait donc être critiqué
pour s'être abstenu d'édicter une disposition punissant l'euthanasie
passive.
La Commission constate que le requérant conteste la conclusion
des autorités judiciaires. Toutefois, en l'absence de tout nouveau
moyen de preuve présenté à la Commission et de toute indication selon
laquelle les autorités judiciaires auraient évalué de manière
incorrecte les éléments de preuve qui leur ont été présentés, la
Commission doit fonder son examen sur les faits tels qu'ils ont été
établis par les autorités nationales. Ces faits n'ont pas permis
d'établir un acte punissable.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé au sens de
l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint en outre de la violation des articles 8
et 13 (art. 8, 13) de la Convention.
La Commission a examiné les griefs tels qu'ils ont été présentés.
Toutefois, dans la mesure où les allégations ont été étayées, la
Commission n'a relevé aucune apparence de violation des droits et
libertés garantis par lesdites dispositions.
Il s'ensuit que le restant de la requête est également
manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de
la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire de la Le Président en exercice
Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (G. JÖRUNDSSON)