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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 1624/24
Claude PALMERO
contre Monaco
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 22 mai 2025 en un comité composé de :
María Elósegui, présidente,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Diana Sârcu, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête no 1624/24 dirigée contre la Principauté de Monaco et dont un ressortissant de cet État, M. Claude Palmero (« le requérant ») né en 1956 et résidant à Monaco, représenté par Me P. Sur, avocat à Paris, a saisi la Cour le 11 janvier 2024 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. L’affaire concerne l’équité de la procédure d’examen d’une demande de récusation de deux magistrats, membres titulaires du Tribunal suprême, l’un chargé de suivre les procédures en cours, et l’autre désigné par le premier en qualité de rapporteur d’un recours en annulation et d’un recours de sursis à statuer, déposés par le requérant. La requête est soumise à la Cour sous l’angle de l’article 6 de la Convention.
2. Par une décision souveraine du 8 novembre 2001, le requérant fut nommé, à compter du 20 novembre 2001, administrateur des biens du Prince souverain, qui était à l’époque le Prince Rainier III de Monaco. Il poursuivit cette mission à la suite de l’accession au trône du Prince Albert II.
3. Le 16 mars 2023, le requérant fut convoqué par le Prince et fit l’objet d’une suspension provisoire de ses fonctions.
4. Le 6 juin 2023, il reçut en main propre une lettre émanant du Prince confirmant sa décision de mettre fin à ses fonctions, avec effet immédiat.
5. Par une décision souveraine du 9 juin 2023, la décision du 8 novembre 2001 en vertu de laquelle le requérant exerçait les fonctions d’administrateur des biens du Prince fut abrogée.
6. Le 13 juillet 2023, le requérant saisit le Tribunal suprême de deux requêtes dirigées contre les décisions des 6 et 9 juin 2023 et visant :
- à annuler la décision du 6 juin 2023 mettant fin à ses fonctions d’administrateur des biens, et celle du 9 juin 2023 abrogeant la décision de nomination à ces fonctions ;
- à surseoir à l’exécution des deux décisions précitées.
7. Le 17 juillet 2023, le président du Tribunal suprême, D.L., désigna le vice-président de cette juridiction, D.R., en qualité de rapporteur de l’affaire.
8. Le 8 août 2023, D.L. et D.R. quittèrent leurs fonctions respectives, lesquelles prenaient normalement fin à l’expiration d’une période de huit années non renouvelables, conformément aux ordonnances souveraines no 5.529 nommant D.L. en tant que membre titulaire et Président du Tribunal suprême, et no 5.456 nommant D.R. membre titulaire.
9. Par un arrêté du 9 août 2023, le secrétaire d’État à la Justice, directeur des services judiciaires, chargea S.B., membre titulaire du Tribunal suprême, d’assurer la continuité du service dans l’attente de la désignation des nouveaux président et vice-président.
10. Par une ordonnance notifiée au requérant le 11 août 2023, S.B. abrogea l’ordonnance de désignation de D.R. et désigna P.B. en remplacement en tant que magistrat rapporteur du recours porté devant le Tribunal suprême aux fins d’annulation des décisions formalisant la révocation du requérant de ses fonctions.
11. Le 5 septembre 2023, le requérant déposa un acte aux fins de récusation de S.B. et P.B. dans les procédures relatives au recours en annulation et au sursis à exécution, sur le fondement de l’article 25-2 de l’ordonnance souveraine du 16 avril 1963, qui permet la récusation d’un membre du Tribunal suprême pour des motifs sérieux tenant à un manque d’impartialité. Il fit valoir que :
- le secrétaire d’État à la Justice, directeur des services judiciaires, n’avait pas compétence pour intervenir dans le fonctionnement du Tribunal suprême et que, par conséquent, l’arrêté du 9 août 2023 désignant S.B. pour assurer la continuité du service en qualité de « président par intérim » était entaché d’inconstitutionnalité ;
- cette manœuvre correspondait à une immixtion du pouvoir administratif dans le pouvoir judiciaire et avait pour but non avoué de procéder au remplacement du rapporteur initial, D.R., ce qui était contraire aux exigences du procès équitable.
12. Par une décision du 18 décembre 2023, rendue en premier et dernier ressort, le Tribunal suprême, composé de J.M., vice-président, P.M., membre titulaire et R.F., membre suppléant, rejeta les demandes de récusation en retenant :
- s’agissant de la demande relative à la requête en annulation : que les moyens remettant en cause la légalité et la constitutionnalité de l’arrêté du 9 août 2023 du secrétaire d’État à la Justice étaient inopérants au regard des demandes en récusation présentées ; qu’aucun élément n’était avancé concernant le manque d’impartialité ou l’existence d’un quelconque conflit d’intérêts ou préjugés des membres dont la récusation était sollicitée ; qu’aucun manquement au devoir d’impartialité ni ingérence d’une autorité administrative dans une affaire judiciaire en cours ne sauraient être déduits des désignations de S.B. et P.B., qui n’avaient été désignés que lorsque les fonctions de D.L. et D.R. avaient pris fin ;
- s’agissant de la requête en sursis à exécution : qu’elle était irrecevable car introduite en dehors du délai prévu par l’article 25-2 de l’ordonnance souveraine du 16 avril 1963.
13. Le requérant se plaint devant la Cour d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, en raison de la partialité alléguée du Tribunal suprême dans le cadre de l’examen de ses demandes de récusation de deux de ses membres. Outre une remise en cause générale des conditions de désignation des membres du Tribunal suprême, incompatibles selon lui avec les exigences conventionnelles, il estime que le changement du président et du juge rapporteur initialement désigné était destiné à influer sur le cours de la justice et à servir des intérêts de nature à porter atteinte à l’équité du procès.
APPRÉCIATION DE LA COUR
14. La Cour constate d’emblée que l’objet de la procédure en cause est la récusation d’un membre du Tribunal suprême récemment désigné pour assurer la continuité du service de la juridiction dans l’attente de la désignation des nouveaux président et vice-président, ainsi que du rapporteur désigné par celui-ci.
15. Les désignations de S.B., pour assurer la continuité du service, et de P.B., en tant que rapporteur des requêtes aux fins d’annulation et de sursis à exécution, doivent être envisagées à la lumière de la fin des huit années d’exercice des fonctions, le 8 août 2023, du président du Tribunal suprême, D.L., et du vice-président, D.R.
16. La Cour rappelle que si le grief du requérant tiré du rejet de sa demande de récusation peut être examiné sous l’angle du droit à un tribunal impartial en ce qui concerne la procédure au principal, il en va différemment de la procédure de récusation d’un juge, procédure incidente, indépendante de la procédure principale qui l’a fait naître et qui ne concerne en rien le bien‑fondé d’une accusation en matière pénale, ni n’implique la détermination des droits ou des obligations civils du requérant (Pereira de Sousa de Santiago Sottomayor c. Portugal (déc.), no 29238/22, § 17, 7 février 2023, Ovcharenko c. Ukraine (déc.), no 26362/02, 20 octobre 2009, et Quemar c. France (déc.), no 69258/01, 23 mars 2004).
17. La Cour a en outre estimé que la procédure relative à la décision de rejeter une demande de récusation d’un juge et à la sanction afférente prononcée contre la requérante pour mauvaise foi était une action auxiliaire, indépendante de la procédure civile principale. Étant donné que les procédures en question ne portaient pas sur la détermination de droits civils, elle a considéré que l’article 6 n’était pas applicable (Da Cunha Gonçalves c. Portugal (déc.), no 44561/18, § 20, 30 janvier 2024).
18. La Cour a également jugé que le droit d’obtenir une décision judiciaire sur la composition d’un tribunal n’est pas un droit de caractère civil, mais tout au plus un droit de nature procédurale qui n’emporte pas la détermination de droits de caractère civil des requérants (Schreiber et Boetsch c. France (déc.), no 58751/00, CEDH 2003-XII). Il en va différemment de l’applicabilité de l’article 6 à une mesure provisoire ou une procédure préliminaire telle une injonction, dont la nature et les effets sont tout autre (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 77-80, CEDH 2009).
19. Il s’ensuit qu’il doit être constaté que l’article 6 de la Convention n’est pas applicable à la procédure indépendante de récusation de S.B. et P.B.
20. Par conséquent, cette requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 5 juin 2025.
Martina Keller María Elósegui
Greffière adjointe Présidente