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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
12.9.2024
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozsudek

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ORLANDI c. ITALIE

(Requête no 60894/13)

ARRÊT

STRASBOURG

12 septembre 2024

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Orlandi c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

Péter Paczolay, président,
Gilberto Felici,
Raffaele Sabato, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 60894/13) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Adolfo Orlandi (« le requérant »), né en 1948 et résidant à Atina, représenté par Me E. Perrella, avocat à Cassino, a saisi la Cour le 12 septembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. L. D’Ascia, le grief concernant l’article 6 § 1 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

les observations du Gouvernement,

la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 juillet 2024,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE

1. La requête porte sur le rejet pour irrecevabilité, qui selon le requérant témoigne d’un formalisme excessif, du pourvoi en cassation formé par l’intéressé.

2. Le 21 mars 1996, le requérant saisit le tribunal de Cassino afin d’obtenir réparation du préjudice qu’il disait avoir subi en raison d’un accident de la route. Le tribunal accueillit partiellement sa demande, lui octroyant une indemnisation pour dommage biologique et moral et rejetant ses prétentions pour le surplus. La cour d’appel de Rome confirma le jugement du tribunal.

3. Le 21 mai 2007, le requérant forma un pourvoi devant la Cour de cassation, à l’appui duquel il invoquait trois moyens. Par le premier moyen, le requérant dénonçait une motivation défaillante ou insuffisante de l’arrêt de la cour d’appel relativement à la conclusion de celle-ci selon laquelle il était partiellement responsable de l’accident. Dans le deuxième moyen, il contestait le refus par la juridiction d’appel de lui accorder une réparation pour dommage existentiel. Par le troisième moyen, le requérant remettait en cause les modalités de calcul des intérêts légaux afférents à la réparation qui lui avait été octroyée.

4. La Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable en application de l’article 366 bis du code de procédure civile (le « CPC »), introduit par l’article 6 du décret législatif no 40 du 2006 (« décret législatif no 40/2006 »), lequel était entré en vigueur le 2 mars 2006. Elle jugea, en particulier, que le premier moyen de cassation, tiré d’un vice de motivation au sens de l’article 360, 1er alinéa, numéro 5 du CPC, ne comportait pas de paragraphe de synthèse (momento di sintesi) conclusif et que dans les deuxième et troisième moyens, qui avaient trait à une violation des normes ou des principes de droit, au sens de l’article 360, 1er alinéa, numéro 3 du CPC, concernant, respectivement, l’indemnisation du dommage existentiel et les modalités de calcul des intérêts légaux, la formulation de la question de droit (quesito di diritto) n’était pas suffisamment spécifique et concrète.

5. Le requérant se plaint du rejet de son pourvoi par la Cour de cassation, dû selon lui à une application excessivement formaliste des critères de rédaction des pourvois. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, il estime, en particulier, que la condition de recevabilité relative au paragraphe de synthèse était imprévisible et disproportionnée, et que la déclaration d’irrecevabilité du deuxième et du troisième moyen de cassation constituait une décision disproportionnée.

APPRÉCIATION DE LA COUR

6. Les principes généraux applicables aux limitations du droit d’accès à une juridiction supérieure ont été résumés dans Trevisanato c. Italie (no 32610/07, §§ 33-34, 15 septembre 2016), Zubac c. Croatie ([GC], no 40160/12, §§ 76-82, 5 avril 2018) et Gil Sanjuan c. Espagne (no 48297/15, §§ 29-31, 26 mai 2020).

7. En ce qui concerne l’irrecevabilité du premier moyen, qui portait sur un vice de motivation au sens de l’article 360, 1er alinéa, numéro 5 du CPC, le Gouvernement soutient que la condition de recevabilité du pourvoi en cassation relative à la formulation d’un paragraphe de synthèse était prévisible. Il avance, en particulier, que bien qu’elle ne soit pas énoncée dans l’article 366 bis du CPC, qui mentionne en revanche explicitement la condition de recevabilité tenant à la formulation d’une question de droit pour les moyens de cassation soulevant une application incorrecte de règles de droit au sens de l’article 360, 1er alinéa, numéros 1 à 4 du CPC (Trevisanato, précité, §§ 19-20), cette exigence pouvait être inférée tout à la fois de la jurisprudence antérieure à l’introduction du pourvoi en cassation du requérant, du rapport explicatif joint au projet de décret législatif no 40/2006 soumis par le gouvernement à la Présidence du Sénat de la République le 5 septembre 2005, ainsi que, en général, de la finalité de la réforme prévue par ledit décret. Quant à l’irrecevabilité des deuxième et troisième moyens, le Gouvernement affirme que la Cour de cassation avait précédemment précisé que la question de droit devait constituer le point de jonction entre la solution du cas spécifique et la formulation d’un principe juridique général applicable à des cas similaires, et soutient que celles contenues dans le pourvoi du requérant étaient exposées de manière abstraite.

8. Le requérant n’a pas soumis d’observations.

9. Concernant l’irrecevabilité du premier moyen, l’article 366 bis du CPC, qui a été abrogé par l’article 47 de la loi no 69 du 18 juin 2009 mais était en l’espèce applicable ratione temporis, disposait que le moyen de cassation tiré de l’article 360, 1er alinéa, numéro 5 du CPC, relatif au vice de motivation, devait contenir, à peine d’irrecevabilité, « l’indication claire du fait contesté à propos duquel la motivation [était] critiquée comme étant défaillante ou contradictoire, ou les raisons pour lesquelles la motivation insuffisante n’[était] pas propre à justifier la décision ». Or, dans le cas d’espèce, force est à la Cour de constater que l’exigence posée par cette disposition avait été suffisamment respectée. En effet, la formulation du premier moyen de cassation présenté par le requérant permettait d’identifier aisément son objet, à savoir la prétendue absence, dans l’arrêt attaqué, d’éléments justifiant la conclusion selon laquelle le requérant était partiellement responsable de l’accident litigieux (voir, mutatis mutandis, Succi et autres c. Italie, nos 55064/11 et 2 autres, § 89, 28 octobre 2021).

10. Quant à l’absence d’un « paragraphe de synthèse » en conclusion dudit moyen de cassation, la Cour ne peut souscrire à la thèse du Gouvernement d’après laquelle pareille condition de recevabilité découlait de la jurisprudence antérieure à l’introduction du pourvoi litigieux et du rapport explicatif joint au projet de décret législatif no 40/2006. Elle relève tout d’abord, à cet égard, que les deux arrêts des chambres réunies de la Cour de cassation (no 36 du 5 janvier 2007 et no 7258 du 23 mars 2007) que le Gouvernement a cités au soutien de son argument portent uniquement sur la formulation de la question de droit, et que le rapport explicatif ne mentionne quant à lui que la condition de recevabilité relative à la question de droit, se bornant, pour ce qui concerne des conditions de recevabilité des moyens de cassation fondés sur l’article 360, 1er alinéa, numéro 5 du CPC, à reproduire les termes de l’article 366 bis du CPC. Elle constate ensuite qu’il ressort des éléments du dossier que l’obligation de conclure le moyen par un paragraphe de synthèse, lequel fait écho à la question de droit devant conclure les moyens tirés de l’article 360, 1er alinéa, numéros 1 à 4 du CPC, procède d’une interprétation de l’article 366 bis retenue par la Cour de cassation dans l’ordonnance no 16002 du 18 juillet 2007 et dans l’arrêt des chambres réunies no 20603 du 1er octobre 2007 (confirmés, entre autres, par l’ordonnance no 2652 du 4 février 2008 et par l’arrêt des chambres réunies no 12339 du 20 mai 2010), soit après l’introduction du pourvoi litigieux par le requérant le 21 mai 2007. La Cour est donc d’avis que la condition de recevabilité en question n’était pas prévisible à la date de l’introduction du pourvoi du requérant (voir, mutatis mutandis, Gil Sanjuan, précité, § 39 ; comparer avec Trevisanato, precité, § 44).

11. Partant, il convient de déclarer ledit grief recevable et de conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

12. Pour ce qui est de la déclaration d’irrecevabilité des deuxième et troisième moyens, la Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel les questions de droit contenues dans ceux-ci étaient formulées de manière abstraite et n’étaient pas rattachées à la solution du cas spécifique. Par conséquent, la conclusion de la Cour de cassation selon laquelle lesdites questions ne respectaient pas les dispositions de l’article 366 bis du CPC, telles qu’interprétées par la jurisprudence antérieure à l’introduction du pourvoi du requérant, n’a pas constitué en l’espèce une entrave disproportionnée au droit de l’intéressé à un tribunal (Trevisanato, précité, §§ 44-45).

13. En conséquence, le rejet des deuxième et troisième moyens invoqués par le requérant n’a pas porté atteinte à la substance de son droit à un tribunal. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

14. Le requérant n’a pas présenté, dans le délai qui lui avait été imparti pour la présentation de ses observations sur le fond, de demande au titre de la satisfaction équitable. En conséquence, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

  1. Déclare recevable le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention concernant le rejet du premier moyen de cassation, et irrecevable la requête pour le surplus ;
  2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le rejet du premier moyen de cassation.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 septembre 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Liv Tigerstedt Péter Paczolay
Greffière adjointe Président