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Rozhodnutí
QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 11655/15
Zsolt-István ÁRUS
contre la Roumanie
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 30 mai 2023 en un comité composé de :
Faris Vehabović, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu :
la requête no 11655/15 contre la Roumanie et dont un ressortissant roumain et hongrois, M. Zsolt-István Árus (« le requérant ») né en 1961 et résidant à Gheorgheni, représenté par Me D.A. Karsai, avocat à Budapest, a saisi la Cour le 23 février 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères, les griefs tirés des articles 6 de la Convention (temps mis pour la rédaction de l’arrêt définitif) et 7 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
la décision du gouvernement hongrois de ne pas user de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
OBJET DE l’AFFAIRE
1. Le 1er octobre 2012, l’Agence nationale pour l’intégrité infligea au requérant une amende contraventionnelle d’un montant de 2 000 lei roumains, soit environ 450 euros. Il lui était reproché que, en sa qualité de conseiller départemental, il n’avait pas respecté son obligation de déposer une déclaration de patrimoine et d’intérêts pour l’année 2012, comme l’exigeait la loi no 176/2010 régissant, entre autres, l’intégrité dans l’exercice des fonctions et charges publiques (« la loi no 176/2010 »).
2. Le requérant contesta le procès-verbal de contravention. Par un jugement du 9 avril 2013, le tribunal de première instance de Bucarest rejeta son action et, par un arrêt définitif du 18 novembre 2013, le tribunal départemental de Bucarest rejeta son recours. Le requérant avait soutenu devant les tribunaux qu’il avait bien déposé la déclaration en cause et qu’il l’avait rédigée en hongrois, sa langue maternelle, comme le lui permettait la loi no 215/2001 sur l’administration publique locale (« la loi no 215/2001 »), qui autorisait, sous certaines conditions, l’emploi des langues maternelles des minorités nationales dans la relation avec l’administration locale. Les tribunaux jugèrent que les dispositions de la loi no 215/2001 n’étaient pas applicables en l’espèce.
3. Il ressort des informations fournies par le Gouvernement que l’arrêt du 18 novembre 2013 a été mis au net à une date non précisée en janvier 2015. Le requérant envoie copie de ses demandes, adressées en février et en mars 2015 au tribunal compétent, en vue d’obtenir une copie de l’arrêt du 18 novembre 2013.
APPRÉCIATION DE LA COUR
- SUr le grief tiré de l’article 6 de la Convention en raison de la durée DE la procédure
4. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure, notamment de la durée de rédaction de l’arrêt définitif du 18 novembre 2013 du tribunal départemental de Bucarest.
5. Le Gouvernement soulève une exception de tardivité du grief.
6. Le requérant estime que la requête ne se heurte pas à ce motif d’irrecevabilité.
7. La Cour n’examinera pas cette exception car elle estime nécessaire d’examiner en premier lieu la question de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention. Même si le Gouvernement n’a pas soulevé en l’espèce une exception d’incompatibilité ratione materiae, la Cour peut la soulever d’office puisqu’elle a trait à sa compétence (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 131, CEDH 2010).
8. La Cour recherchera successivement si l’article 6 de la Convention s’applique en l’espèce sous son volet civil et sous son volet pénal.
9. Quant au volet civil de l’article 6, la Cour rappelle qu’elle a conclu dans une affaire similaire que les obligations que la loi no 176/2010 mettait à la charge des individus exerçant un mandat électif n’avaient pas un caractère civil au sens de cette disposition (Cătăniciu c. Roumanie (déc.), no 22717/17, § 35, 6 décembre 2018). Or, en l’espèce, le requérant avait déposé sa déclaration de patrimoine en sa qualité de conseiller départemental. Son argument, soulevé devant les tribunaux internes (paragraphe 2 ci-dessus), tiré des dispositions de la loi no 215/2001, qui autorisait sous certaines conditions les personnes appartenant aux minorités nationales de s’adresser à l’administration locale en leur langue maternelle, doit dès lors être écarté comme non pertinent.
10. L’obligation à laquelle le requérant devait se soumettre avait donc une nature politique. Or, les litiges relatifs à l’exercice d’un mandat politique sortent du champ d’application de l’article 6 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Pierre-Bloch c. France, 21 octobre 1997, § 50, Recueil 1997‑VI, quant à une procédure ayant eu des conséquences sur le droit du requérant de se porter candidat aux élections parlementaires et de conserver son mandat, et Savissar c. Estonie (déc.), no 8365/16, § 26, 8 novembre 2016, quant à une procédure portant sur la continuation du mandat de maire du requérant). Même si l’intéressé s’est vu infliger une amende, la Cour rappelle qu’un aspect patrimonial de la procédure litigieuse ne confère pas pour autant à celle-ci une nature « civile » au sens de l’article 6 § 1 (Pierre‑Bloch, précité, § 51, et Papon c. France (déc.), no 344/04, 11 octobre 2005).
11. Il s’ensuit que l’article 6 de la Convention n’est pas applicable en l’espèce sous son volet civil.
12. Quant au volet pénal de l’article 6 de la Convention, il convient de faire application des trois critères découlant de l’arrêt Engel et autres c. Pays‑Bas (8 juin 1976, §§ 82-83, série A no 22) et confirmés dans l’affaire Ezeh et Connors c. Royaume-Uni ([GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 82, CEDH 2003‑X).
13. En ce qui concerne le premier critère, les faits reprochés au requérant n’avaient pas un caractère pénal au sens du droit interne. La Cour a déjà constaté que les obligations relevant de la loi no 176/2010 relevaient plutôt de la sphère disciplinaire (Cătăniciu, décision précitée, § 38).
14. S’agissant du deuxième critère, qui touche à la nature de l’infraction, seules les personnes qui exercent une charge ou une fonction publique ont, selon le droit interne, une obligation de déposer une déclaration de patrimoine et d’intérêts. Ces obligations ne sont donc applicables qu’à un groupe déterminé de personnes ayant un statut particulier, ce qui fait naître de sérieux doutes quant au caractère pénal des faits en cause (ibidem, § 39).
15. Enfin, quant au troisième critère, il convient de noter que le requérant s’est vu infliger une amende d’environ 450 euros. Rien dans le dossier n’indique que pareille sanction était d’une nature et d’un degré de sévérité justifiant de la qualifier de sanction pénale au sens de l’article 6 de la Convention (Gestur Jónsson et Ragnar Halldór Hall c. Islande [GC], nos 68273/14 et 68271/14, §§ 95-97, 22 décembre 2020).
16. Il s’ensuit que l’article 6 de la Convention n’est pas applicable en l’espèce sous son volet pénal.
17. Dès lors, le grief tiré de l’article 6 est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
- SUR le grief tiré de l’Article 7 de la Convention
18. Invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant se plaint du manque de prévisibilité de la loi no 176/2010. Il estime que la sanction qui lui a été appliquée avait un caractère pénal au sens de la Convention.
19. Le Gouvernement contredit les allégations du requérant.
20. La Cour renvoie à ses conclusions quant à l’inapplicabilité en l’espèce de l’article 6 de la Convention sous son volet pénal (paragraphe 16 ci‑dessus). Il s’ensuit que l’article 7 de la Convention ne peut pas non plus s’appliquer dès lors que le requérant n’a pas fait l’objet « d’une condamnation » pour « une infraction » au sens de cet article.
21. Ce grief est donc incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 22 juin 2023.
Crina Kaufman Faris Vehabović
Greffière adjointe f.f. Président