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Text rozhodnutí
Datum rozhodnutí
6.3.2025
Rozhodovací formace
Významnost
3
Číslo stížnosti / sp. zn.

Rozhodnutí

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

Requête no 5343/15
Camillo FLORINI
contre l’Italie

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 6 mars 2025 en un comité composé de :

Frédéric Krenc, président,
Raffaele Sabato,
Alain Chablais, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 5343/15, dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant italien, M. Camillo Florini (« le requérant »), né en 1942 et résidant à Rome, représenté par Me C. Farina, avocat à Rome, a saisi la Cour le 20 janvier 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. L. D’Ascia, avocat de l’État,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1. La requête concerne le procès qui s’est tenu à la suite de la faillite, en 2003, du groupe « Parmalat » et s’est soldé par la condamnation du requérant à quatre ans et neuf mois de réclusion. Elle porte sur la prétendue impossibilité pour l’intéressé de consulter le dossier d’enquête et de prendre connaissance des documents contenus dans celui-ci afin, notamment, d’identifier ceux qui auraient été pertinents pour la préparation de sa défense.

2. En 2005, le requérant fut informé par le parquet de Parme de la clôture des investigations préliminaires dans ladite procédure pénale, en application de l’article 415 bis du code de procédure pénale.

3. Le bureau du procureur transmit à l’intéressé le dossier d’enquête par voie électronique, compte tenu du caractère volumineux de celui-ci et de ce que le tribunal de Parme avait adhéré au Protocole « TIAP » (protocole pour le traitement informatisé des actes de procédure).

4. Le 10 juin 2005, le requérant demanda au procureur l’autorisation de consulter le dossier d’enquête en format papier et d’obtenir une copie de certains actes. Aucune réponse ne lui fut donnée.

5. En février 2007, lors de l’audience préliminaire, le requérant souleva une exception de nullité concernant l’application de l’article 415 bis, arguant qu’il n’avait pu obtenir de copie du dossier d’enquête en format papier. Le juge de l’audience préliminaire rejeta ladite exception.

6. Lors des débats devant le tribunal, le requérant invoqua de nouveau une exception de nullité de l’avis de conclusion de l’enquête préliminaire en raison de l’impossibilité alléguée d’accéder, d’une part, au dossier d’enquête en version papier et, d’autre part, à certains fichiers informatiques parmi ceux qui lui avaient été communiqués.

7. Le tribunal rejeta l’exception du requérant. Il observa que celui-ci avait eu accès au dossier d’enquête en version numérique, et que ce choix du bureau du procureur était motivé par le caractère volumineux dudit dossier. Quant à l’allégation de l’intéressé selon laquelle il n’avait pu accéder à certains fichiers, le tribunal releva qu’il n’avait pas précisé la raison de cette impossibilité et n’avait pas davantage indiqué si elle pouvait être surmontée par l’utilisation d’un logiciel d’usage courant. Il en conclut que l’existence d’un obstacle réel à l’accès aux documents contenus dans les fichiers informatiques concernés, lesquels n’étaient de surcroît pas identifiés, ne pouvait être considérée comme avérée.

8. Lors du procès en appel, le requérant réitéra ses arguments en soutenant qu’il n’avait pu préparer sa défense. La cour d’appel rejeta l’exception, retenant qu’au moment de la conclusion de l’enquête préliminaire, l’intéressé et les autres coaccusés avaient reçu les fichiers numériques contenant les pièces du dossier d’enquête et estimant que cela avait permis de réduire les délais tout en respectant les droits de la défense.

9. Le requérant se pourvut en cassation. Il soulevait les mêmes arguments, tout en changeant de ligne de défense et alléguant qu’il n’avait eu aucun accès au dossier d’enquête car les autorités lui auraient uniquement offert la possibilité d’en recevoir une copie électronique contre le paiement de droits (diritti di cancelleria) d’un montant de 15 000 euros (EUR).

10. Par un arrêt du 22 juillet 2014, la Cour de cassation rappela qu’une copie numérique de l’intégralité du dossier d’enquête avait été mise à disposition du requérant et des coaccusés. Quant à l’assertion de l’intéressé selon laquelle la remise dudit dossier informatique était subordonnée au paiement de droits d’un montant de 15 000 EUR, la Haute juridiction considéra qu’il s’agissait en l’espèce d’une irrégularité administrative qui aurait dû être signalée sans retard au chef du bureau, ce qui n’avait pas été fait.

11. Sous l’angle de l’article 6 § 3 et de l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir pu ni consulter le dossier d’enquête en format papier, ni prendre connaissance des documents contenus dans celui-ci afin, notamment, d’identifier les pièces pertinentes pour la préparation de sa défense. Selon le requérant, les autorités lui ayant donné exclusivement accès au dossier informatique en raison du caractère volumineux de celui-ci et seulement à la condition qu’il payât une somme de 15 000 EUR. Il y voit une atteinte à son droit à la défense.

APPRÉCIATION DE LA COUR

12. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas introduit sa requête dans le délai de six mois à compter de la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes, soit, selon lui, le 22 juillet 2014, indiquant à ce propos que la Cour n’a reçu la requête que le 26 janvier 2015. Il soulève également une exception tirée d’un défaut de qualité de victime du requérant.

13. La Cour observe, tout d’abord, que l’arrêt de la Cour de cassation a été déposé au greffe le 22 juillet 2014, et que l’enveloppe contenant la requête à la Cour a été expédiée d’Italie le 20 janvier 2015, selon le cachet de la poste y apposé.

14. Elle considère que la date d’introduction de la requête est celle figurant sur le cachet de la poste (Vasiliauskas c. Lituanie [GC], no 35343/05, § 117, CEDH 2015). En conséquence, il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

15. La Cour estime en revanche qu’elle n’a pas à se prononcer sur l’exception relative à la qualité de victime du requérant, la requête étant en tout état de cause irrecevable pour les raisons exposées ci-dessous.

16. Les principes relatifs au droit de l’accusé à avoir accès aux éléments en possession des autorités de poursuite ont été rappelés dans les arrêts Van Wesenbeeck c. Belgique (nos 67496/10 et 52936/12, §§ 67 et 68, 23 mai 2017) et Sigurður Einarsson et autres c. Islande (no 39757/15, §§ 85 et 86, 4 juin 2019).

17. La Cour rappelle que l’équité de la procédure doit être appréciée eu égard à l’ensemble de l’affaire (Miailhe c. France (no 2), 26 septembre 1996, § 43, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, et Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275). La question qui se pose sur ce point est celle de savoir si le requérant a été adéquatement informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, conformément à ce que prévoit l’article 6 § 3 a) de la Convention, et s’il a eu une chance de préparer adéquatement sa défense.

18. Les dispositions de l’article 6 § 3 a) n’imposent aucune forme particulière quant à la manière dont l’accusé doit être informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. Il existe par ailleurs un lien entre les alinéas a) et b) de l’article 6 § 3 et le droit à être informé de la nature et de la cause de l’accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l’accusé de préparer sa défense (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 54, CEDH 1999-II).

19. En l’espèce, la Cour constate que le tribunal de Parme avait adhéré à un protocole expérimental pour la numérisation des actes de procédure (paragraphe 3 ci-dessus), et que compte tenu du caractère volumineux du dossier d’enquête, un CD-ROM a été fourni à chaque accusé à la clôture de l’enquête préliminaire.

20. À cet égard, la Cour se réfère aux différentes conclusions des juridictions internes selon lesquelles le dossier d’enquête en version numérique a été mis à disposition du requérant et de ses coaccusés au moment de la clôture de l’enquête préliminaire.

21. La Cour note que, dans la présente cause, il n’est donc pas contesté que le requérant a eu accès au dossier d’enquête sous forme numérique, et aucune question ne se pose relativement à une utilisation par l’accusation d’éléments qui n’auraient pas été divulgués au requérant.

22. Quant au grief tiré de l’impossibilité d’examiner le dossier d’enquête en format papier, il a été rejeté par les juridictions du fond puis, en dernière instance, par la Cour de cassation, au motif qu’il ne pouvait être déduit de cet élément une atteinte aux droits de la défense. À cet égard, la Cour rappelle que conformément à l’avis no 14 (2011) sur la justice et les technologies de l’information (TI) du Conseil consultatif de juges européens (CCJE), les TI doivent être des outils ou des moyens pour améliorer l’administration de la justice, pour faciliter l’accès des justiciables aux tribunaux et pour renforcer les garanties offertes par l’article 6 de la Convention, à savoir l’accès à la justice, l’impartialité, l’indépendance du juge, l’équité et le délai raisonnable des procédures (Patricolo et autres c. Italie, nos 37943/17 et 2 autres, §§ 4446, 23 mai 2024, et Xavier Lucas c. France, no 15567/20, §§ 24-26, 9 juin 2022).

23. Par ailleurs, elle relève également que dans les Lignes directrices sur la numérisation des dossiers judiciaires et la digitalisation des tribunaux (CEPEJ (2021) 15) qu’elle a adoptées le 9 décembre 2021, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice du Conseil de l’Europe (CEPEJ) s’est prononcée en faveur d’une mise en œuvre progressive du « numérique par défaut ».

24. La Cour, consciente de l’essor de la dématérialisation de la justice au sein des États membres et des enjeux de celle-ci, est convaincue que les technologies numériques peuvent contribuer à une meilleure administration de la justice (Xavier Lucas, précité, § 46, et Stichting Landgoed Steenbergen et autres c. Pays-Bas, no 19732/17, § 50, 16 février 2021) et être mises au service des droits garantis par l’article 6 § 1. En particulier, elle est d’avis que dans le cadre d’une procédure judiciaire, la numérisation des documents offre de nombreux avantages, notamment la possibilité de rechercher rapidement les données pertinentes, et de réutiliser et examiner les textes de manière efficace.

25. Quant à la prétendue réclamation par les autorités d’une somme de 15 000 EUR en contrepartie de la transmission du dossier informatique, la Cour remarque que le grief a été soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation et qu’il a été rejeté compte tenu de ce que le requérant n’aurait pas signalé dans l’immédiat ladite irrégularité au chef du bureau. Elle constate également que le requérant n’a pas justifié ce manquement.

26. Au vu de ce qui précède, après s’être livrée à un examen approfondi des observations des parties et à une analyse de la jurisprudence pertinente, la Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, le requérant a bénéficié d’un accès au dossier suffisant pour la préparation de son procès. En particulier, elle conclut que l’accès au dossier d’enquête en version numérique n’était pas de nature à priver l’intéressé d’un procès globalement équitable.

27. Il s’ensuit que ce grief est irrecevable pour défaut manifeste de fondement et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

28. Quant au grief formulé sur le terrain de l’article 13, combiné avec l’article 6, la Cour rappelle que l’article 13 trouve à s’appliquer seulement lorsqu’un individu peut se prétendre de manière défendable victime d’une violation d’un droit protégé par la Convention (De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, § 180, 23 février 2017).

29. Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est parvenue sur le terrain de l’article 6, la Cour en déduit l’absence de grief défendable tiré de la violation d’un droit substantiel garanti par la Convention. En conséquence, le grief tiré de l’article 13 est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 27 mars 2025.

Liv Tigerstedt Frédéric Krenc
Greffière adjointe Président